L’Ivresse des communards

© getty images / De Agostini Editorial

Lorsqu’une vague révolutionnaire secoue le monde, il se trouve toujours une petite phalange de commentateurs pour tenter de lui trouver les pires raisons. Parmi celles-ci, la plus pratique, parce qu’en apparence la moins sujette à discussion, est celle de l’alcool. Dans L’Ivresse des communards, le journaliste et historien Mathieu Léonard, aussi vigneron en vin naturel (sa cuvée Potlatch est un clin d’oeil à Guy Debord), le montre avec brio: la Commune de Paris n’y a pas coupé. Le sang avait à peine séché sur les barricades où s’étaient empilés les corps massacrés de ceux qui, le temps de deux gros mois, avaient tenté de construire une utopie libertaire contre le pouvoir du gouvernement d’Adolphe Thiers, que les « experts » prenaient la parole. Dès décembre 1871, six mois après l’écrasement de l’insurrection, l’Académie française de médecine réduisait celle-ci à un « monstrueux accès d’alcoolisme aigu », mêlant préjugés relatifs aux classes populaires et constats désabusés sur les conséquences de la boisson chez ceux qui ne savent pas se tenir. Se nourrissant d’un riche catalogue d’archives, Léonard montre que le discours « scientifique » de l’Académie ne fut que l’avant-garde d’une longue charge hygiéniste menée par les milieux les plus conservateurs, obsédés par l’idée de « dégénérescence » de l’humanité -dont les « classes dangereuses » chères à l’historien et démographe Louis Chevalier étaient l’illustration. Conjuguant un nettoyage des strates les plus basses de la société, une exigence de contrôle pouvant conduire jusqu’à l’eugénisme, et un moralisme à propos du rôle de l’alcool dans la vie des individus, cette charge n’a pas disparu avec le changement de siècle. Elle demeure encore aujourd’hui le fer de lance de tous ceux que William S. Burroughs nommait les « Shits »: ces emmerdeurs qui n’ont pas d’autre joie dans la vie que venir fourrer leur nez dans celle des autres pour mieux la pourrir. Ou s’assurer qu’elle ne déborde pas de sa place.

L'Ivresse des communards

De Mathieu Léonard, Lux éditeur, 288 pages.

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