Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

VANITY FAIR – ICÔNE DE LA LITTÉRATURE NEW-YORKAISE DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES, LA SATIRISTE DAWN POWELL ORCHESTRE SA PETITE FOIRE AUX VANITÉS. ACIDE ET LIBÉRATOIRE.

DE DAWN POWELL, ÉDITIONS QUAI VOLTAIRE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR ANOUK NEUHOFF, 321 PAGES.

Dans son journal à la date du 7 février 1944, Dawn Powell écrivait cette notice, somme toute assez modestement: « Sortie un peu aujourd’hui. Reçu une lettre d’Hemingway très encourageante. Disant que j’étais son écrivain vivant préféré. » Favorite d’Hemingway, amie intime de Dos Passos et de Dorothy Parker, la petite Dawn, montée à Big City depuis son natal patelin de l’Ohio, sut s’entourer de son vivant. Voire même de sa mort, puisque son legs à la littérature et au théâtre, un temps empoussiéré, connaît depuis quelques années un véritable revival, emmené entre autres par son grand admirateur, l’écrivain Gore Vidal.

Ecrit en 1938 mais traduit tout dernièrement, L’île joyeuse (comme l’£uvre colorée et frivole de Debussy) prend place à New York au lendemain de la prohibition. Et plus précisément au c£ur de ce Manhattan qui s’étourdit aux cocktails old fashioned et remercie ses grooms de présenter les journaux du matin pliés d’avance sur le carnet mondain. Un Manhattan de représentation, épris de théâtre, et dans lequel les rideaux se lèvent et tombent sur les réputations. On y suit le destin de Prudence Bly, jeune chanteuse de cabaret sous les feux de la rampe des palaces et du petit monde qui s’y agite. Il y a là une oisive au profil grec, un pianiste pique-assiettes, un animateur de radio pris dans les toiles rivales de deux reines de beauté, un acteur à qui son commanditaire demande de séduire sa femme. Rien qui échappe aux clichés un poil hystériques du genre, à vrai dire, si ce n’est l’arrivée d’un jeune dramaturge monté à New York avec l’espoir d’y percer, mais se révélant contre toute attente absolument imperméable à ses reflets miroitants et ses charmes tant vantés. Une jouissive manière, pour Dawn Powell, d’amorcer une vraie bombe dans l’antichambre de son exquise époque.

La valse des pantins

Exultant au passage à libérer les m£urs de son temps (elle met en scène la communauté homosexuelle de New York -y compris féminine-, fait boire les femmes plus que les hommes), Dawn Powell cache, au c£ur de ce chassé-croisé d’amourettes et de joutes oratoires, un projet romanesque esquissé sous la réplique d’un de ses pantins:  » Je ne déteste pas les belles réceptions un peu guindées. Elles stimulent l’esprit: on se demande où va la civilisation, et ainsi de suite. »

Si pas la civilisation entière, Powell capte en effet quelque chose de piquant dans la trajectoire d’une petite société qu’elle cueille à l’envers de ses mensonges magnifiques. Une faune revendicatrice, fière, qui grappille chaque pan d’un New York doré, d’autant qu’elle tente d’y noyer toujours plus ses inavouables origines prolétaires et provinciales sous les dry martinis et les dîners de bienfaisance. Célébrant la mince frontière entre progrès et vices, la petite comédie de Dawn Powell s’accommode à l’acide. Car au théâtre comme à la vie, les saynètes s’enchaînent selon un indéfectible ressort dramatique:  » C’était cela, un public: des gens guettant patiemment la catastrophe. »

On pense à Dorothy Parker pour le vitriol des formules, à Scott Fitzgerald pour la mise à nu des fêlures de la haute. Mais la prose de Powell semble en dernier recours avoir infusé tout un pan -le plus acerbe, le plus passionnant- de la littérature américaine d’aujourd’hui.  » Chaque jour, Bret Easton Ellis et Jay McInerney devraient allumer un cierge en mémoire de sainte Dawn Powell!« , déclarait ainsi à son propos Frédéric Beigbeder. Bénie soit l’amorale Powell. l

YSALINE PARISIS

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