LE NEW-YORKAIS ADAM ROSS DÉPLIE LES ANGLES MORTS DU MARIAGE ET LE STATUT DE LA FICTION DANS UN PREMIER ROMAN TRICÉPHALE DÉSORIENTANT, OBSESSIONNEL, ET HYPNOTIQUE DANS SES DERNIERS REFLETS. POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE…

« Les hommes tuent en général leur épouse pour l’une des 4 raisons suivantes: l’argent, le sexe, la vengeance ou la liberté. Les 3 premières ne nécessitent aucune explication (…). La liberté, en revanche, est un motif d’assassinat à la fois très peu commun et particulièrement complexe, même si presque tous les hommes qui ont été mariés peuvent le comprendre…  » A sa sortie aux USA, Stephen King, écrivain marié de longue date, a déclaré que la lecture de Mr. Peanut (éditions 10/18) lui avait filé de moites et terrifiants coups de fièvre… Une confession de plutôt bon augure pour Adam Ross, sinistre inconnu qui vient peut-être d’écrire là l’£uvre d’une vie: 12 ans d’écriture et de recherche obsessionnelle, et plus de 500 pages pour un premier thriller d’ores et déjà listé parmi les meilleurs romans 2010 des New York Times, New Yorker, The Economist… L’histoire est celle de David Pépin, un créateur de jeux vidéo marié depuis 15 ans, apprenti romancier qui fantasme violemment et sous toutes les coutures le meurtre d’Alice, son épouse qu’il adore néanmoins. Avant de s’en voir un jour littéralement accusé… Sa confession fleuve servira de lit à une double exploration, par les inspecteurs en charge de l’enquête, de leur mariage respectif… Un roman machiavélique, un labyrinthe littéraire hyper référencé à plus d’une entrée mais à issue unique. Tentative de décryptage.

1. Maurits Cornelis Escher

Pour la structure de son roman, Adam Ross s’est inspiré des gravures d’Escher, dessinateur néerlandais du XXe siècle, spécialiste des perspectives impossibles et autres trompe-l’£il jouant sur l’infini. Son truc? La tesselation, ou principe selon lequel chaque figure géométrique en trace indéfiniment le contour d’une autre. Non seulement Ross tapisse la maison de David et Alice de tirages authentiques d’Escher, mais il montre que chaque épisode de ce mariage central jouxte et enclenche le récit de ceux des enquêteurs. Mieux, Ross imprime la tesselation à sa vision du mariage: le bonheur de chaque couple étant de fait connecté à sa propre destruction, il peut, de la même manière que les dessins d’Escher provoquent régulièrement une perte inopinée de perspective, basculer soudainement sur lui-même, et faire surgir la haine.

2. Ruban de Möbius

 » C’était étrange, combien le mariage écrasait le temps, le compressait, escamotait son écoulement, passé et présent entortillés l’un sur l’autre, le premier plan passant à l’arrière-plan, puis de nouveau au premier plan, jusqu’à ce que le nouveau rejoigne l’ancien et le passé.  » Si cher à David Lynch, le ruban de Möbius est sans doute le motif le plus fascinant et le plus vicieux de Mr. Peanut. Bande à une seule face torsadée et fermée, il incarne la spirale sans cesse recommencée, sans cesse identique sur laquelle semblent indéfiniment glisser David et Alice, couple sans enfants prisonnier de son mariage en son milieu, sorte de trou temporel, impasse à rendre fou, infernal continuum entre rêve et réalité, avant et après. Un statu quo qui inspire à Adam Ross un fascinant jeu de dupes sur la toute-puissance de la fiction…

3. Jeu Vidéo

Le héros, David Pépin, est un brillant concepteur de jeux vidéo. Un domaine dans lequel il distille certaines de ses passions -Escher, notamment- et obsessions. Les 3 couples du roman sont ainsi à plusieurs reprises présentés comme les avatars d’une seule et même quête -offrir l’image extérieure du bonheur-, à satisfaire par tous les moyens, mesquines manipulations ou arrangements sadiques compris. L’une des dernières créations de David, Escher X, contient en elle-même quelques importantes clés de l’intrigue:  » Le but du jeu était de guider votre avatar à travers chacun de ces niveaux labyrinthiques, ces royaumes sans fin, jusqu’à ce que vous trouviez les moyens secrets d’en échapper, le bouton ou la dalle qui déroulerait enfin le ruban de Möbius formant les décors.  »

4. Hitchcock

Le coup de foudre de David et Alice se produit à l’université, à l’occasion d’un séminaire à l’intitulé comme une bombe à retardement: Hitchcock et le mariage. Et c’est peu dire que l’ombre portée du maître du suspense plane sur le roman, les affiches de ses films prenant la poussière sous le lit conjugal, des pans entiers de dialogues lui étant empruntés, tout comme certains noms de personnages et de lieux. De Fenêtre sur cour à L’Ombre d’un doute en passant par Vertigo, Mr. Peanut renferme un puissant sous-texte hitchcockien prophétiquement initié en ces termes:  » Les films d’Hitchcock montrent-ils que nous évoluons afin de devenir dignes de la personne aimée? Le mariage peut-il nous sauver la vie ou n’est-ce que le début d’un double homicide? »

5. Sam Sheppard

En 1954, à l’été de la sortie de Fenêtre sur cour, se tient un procès mythique. Dans une Amérique pavillonnaire décadente pétrie de névroses façon Mad Men, Sam Sheppard, un brillant neurologue, est reconnu coupable d’avoir sauvagement tué sa femme. Avant d’être innocenté au cours d’un second procès. Une coïncidence emblématique dont Ross s’empare pour l’une des plus haletantes reconstitutions du livre, télescopage sur lequel David et Alice projettent leur propre couple:  » Il considérait l’£uvre d’Hitchcock et le meurtre de Sheppard comme faisant partie de leur ADN -un filament torsadé qui augurait de leur sort.  » Avec Sheppard en enquêteur, Ross introduit dans son roman le profil d’un homme double, au statut intenable – » Vous êtes peut-être le seul homme en Amérique à être à la fois coupable et non coupable d’avoir tué sa femme. Condamné et innocenté« -, se coulant parfaitement le long de l’ambigu ruban de Möbius…

TEXTE YSALINE PARISIS

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