L’AUBRAC A PRÊTÉ SON CADRE, SAUVAGE ET PRÉSERVÉ, AU PREMIER LONG MÉTRAGE DU RÉALISATEUR BELGE JOHN SHANK, L’HIVER DERNIER. REPORTAGE DANS LES FRIMAS, SUR LES TRACES DE VINCENT ROTTIERS ET ANAÏS DEMOUSTIER…

Voilà quelques kilomètres, déjà, que la voiture serpente sur de petites routes, dévoilant un paysage où la présence humaine se fait plus discrète à chaque virage. Nous sommes sur les hauteurs de l’Aubrac, en Aveyron, et la nature impose sa loi, n’étaient la ferme ou le village occasionnels. Celui de Laguiole, par exemple, qui offre sa base arrière à la production de L’hiver dernier, le premier long métrage du réalisateur belge John Shank -soit l’hôtel, fermé en principe à cette saison, où séjourne toute l’équipe, et le restaurant voisin, qui semble assurer à lui seul l’animation nocturne des environs, et où se terminent les soirées.

Conflit perpétuel

Pour l’heure, on laisse toutefois les habitations derrière soi, pour rouler une quinzaine de kilomètres encore, sous le regard indifférent de vaches aux yeux en amande, dont la toison marron contraste joliment avec la fine pellicule de neige recouvrant les pâturages. Passé l’église d’Anglars, on rejoint La Freyssinette, pour découvrir en contrebas, dans un paysage n’offrant d’autre limite que la ligne d’horizon, les bâtiments d’une ferme. C’est ici que, pendant quelques jours encore, John Shank tourne L’hiver dernier.

Originaire du Midwest, Shank a suivi sa famille en Belgique où, en plus de diverses expériences théâtrales, il a étudié à l’IAD. Tourné en 2000, Un veau pleurait, la nuit, son film de fin d’études, témoignait déjà de la singularité de son univers et de son regard, ce qu’allait confirmer 3 ans plus tard le court métrage Les mains froides, situé lui aussi dans un cadre rural, et prenant les contours d’un drame intime inscrit dans un troublant rapport à une nature éternelle et souveraine. Après un nouveau court, L’abandon, le voilà qui se lance dans l’aventure d’un premier long, avec le concours du producteur Joseph Rouschop, et de sa société, Tarantula.

Séduit dès les premiers essais de Shank, ce dernier l’a été plus encore par la qualité du scénario d’un projet sur lequel l’ont rejoint des partenaires du nord du pays (Limited Adventures), de France (Silex Films) et de Suisse (PCT Cinéma Télévision) – « John a clairement une vision », observe-t-il. Laquelle est d’ailleurs exprimée dans la note d’intention du réalisateur: « Avec ce film, je ne cherche pas à être fidèle à une réalité sociologique rurale, je cherche à m’appuyer sur la réalité de ce monde, sur son espace, sur la place que l’homme et la nature y occupent pour faire émerger le conflit perpétuel que Johann vit dans son corps. » Johann, c’est un jeune homme qui a repris la ferme de son père, où il vit seul. Et qui, entre le travail quotidien, sa s£ur soignée dans un institut, Julie la femme qu’il aime, et ce loup qu’il croit avoir aperçu, perd bientôt pied, « essayant de tenir dans sa main quelque chose qui ne peut être retenu. »

S’agissant d’inscrire ces conflits personnels dans un monde plus vaste, dépassant les protagonistes, John Shank ne pouvait rêver cadre plus approprié que l’Aubrac, sans doute: « J’ai fait des repérages tout autour du Massif Central, explique-t-il , et ma première réaction, en découvrant l’Aubrac, a été de me dire qu’il y avait de l’espace, on voit loin. En même temps, c’est un plateau, comme je le souhaitais, mais ce n’est pas un désert: le cadre est dur et âpre, mais habité. Ça m’a fait penser aux USA, et au souvenir que j’en ai, de grandes étendues, avec des routes et des poteaux. Et puis, à l’attrait visuel et esthétique s’est ajouté un accueil comme je n’en avais eu nulle part ailleurs. » De cela, un simple tour sur le « plateau » suffit à s’en convaincre. Philippe Molinier, l’exploitant de la ferme réquisitionnée pour la cause, ne se fait d’ailleurs pas prier pour expliquer combien il a adhéré au scénario: « L’état d’esprit de John rencontre tout à fait ce que je pense, moi, de l’agriculture aujourd’hui. Il montre quelqu’un qui est très proche de la terre, et quelque chose qui, aujourd’hui, sort du cadre de la mondialisation, et est un peu hors-normes. Ce qui correspond à ce que l’on est aujourd’hui dans nos petites fermes. Cela m’a semblé être une idée à défendre. »

Sur ces entrefaites, Johann (Vincent Rottiers, dans un rôle changeant des écorchés vifs façon Je suis heureux que ma mère soit vivante ou A l’origine) s’avance vers le break où est installée Julie-Anaïs Demoustier, vue notamment dans Les grandes personnes et qui, dans la pâle lueur hivernale, évoque la Isabelle Huppert des débuts, en version solaire. Bref dialogue, et nouvelle prise, dès qu’on aura écarté les poulets aux caquètements envahissants – « Il faut gérer, observe Christophe Giovannoni, l’ingénieur du son. Un chant de coq dans chaque plan, ça ferait Disney.  » On en est loin, cependant, alors que chacun se protège comme il peut d’un froid piquant -le chic Moonboots, bonnet en laine et doudounes fait fureur parmi l’équipe.

L’après-midi avance, et les plans se succèdent, sur un rythme soutenu. Dans la grange, d’abord, et puis à la sauvette, dans la pâture voisine, où le réalisateur arrache quelques prises à la pénombre qui enveloppe bientôt un paysage qui s’étendait, quelques instants auparavant, à perte de vue. Tombe la nuit, et avec elle, l’impression d’être plongé au c£ur de l’hiver. Un chien est venu tout exprès d’un bourg voisin pour quelques scènes – « Il s’appelle Arko, pas Sarko », précise son maître, un large sourire aux lèvres. Et c’est vrai qu’à y regarder de plus près, le cabot n’a pas l’air bien méchant en effet. Réalisateur et acteurs peaufinent une nouvelle prise, au diapason; on s’affaire, et on tente d’oublier le froid qui monte de la terre…

Le lendemain, une épaisse couche de neige recouvre les environs, donnant à Laguiole des allures de station de sports d’hiver plantée dans un décor irréel, des silhouettes de vaches se découpant, fantomatiques, dans la brume. Le plan de tournage est quelque peu chahuté, l’équipe fait front dans l’adversité, s’adaptant aux éléments dans la bonne humeur. On en profite pour accompagner Anaïs Demoustier au maquillage – « Ce que j’aime dans les premiers films, c’est l’énergie particulière, l’enthousiasme », confie-t-elle. Le genre à déplacer les monts, fussent-ils de l’Aubrac…

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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