L’exemple Supafly

C’est un peu l’exception qui confirme la règle. Ou l’arbre qui cache, difficilement, le désert. Lancé il y a un peu plus de huit ans, le Supafly Collective reste une entité musicale unique en Belgique: le seul crew hip-hop féminin, qui propose une équipe de DJ’s. Fatoosan est l’une d’entre elles (avec Mikigold, Young Mocro, Vaneeshua), membre d’un collectif comptant sept filles en tout (avec encore Jee Nice, Lizairo, et JoBee). « C’est JoBee qui nous connaissait toutes séparément et qui a rassemblé tout le monde. » Le prétexte? Le lancement du troisième numéro d’Anattitude -magazine dédié à la culture hip-hop au féminin, dirigé par Jee Nice. « C’était en 2009. Pour fêter l’événement, on a organisé une soirée au Tavernier (bar du côté d’Ixelles, NDLR), qui a directement ramené pas mal de monde. »

Dans la foulée, le collectif enchaînera rapidement les dates. Paradoxal dans un milieu hip-hop souvent dépeint comme macho? Dans ce cas-ci, c’est peut-être l’avantage d’être un cas isolé, un groupe de filles dans un milieu largement masculin: vous détonnez. « On n’a jamais voulu en jouer, mais on en était conscientes évidemment. Après, les gens ont pu se rendre compte qu’ils avaient affaire à de vraies passionnées, et qu’il y avait de la qualité et du boulot derrière ce qu’on faisait. » Comment expliquer qu’il y ait si peu de filles derrière les platines? « C’est un peu comme pour tout métier dominé par les hommes: il y a peu de modèles auxquels vous identifier. Inconsciemment, vous vous dites que ce n’est pas pour vous… Le fait que certaines ont ou veulent des enfants ne facilite pas non plus la donne. Si vous êtes dans un schéma de couple où la femme prend encore la part principale de la charge familiale, ça complique forcément les choses… » Dès que la fonction est un peu « technique », la femme semble également devoir toujours faire davantage la preuve de ses compétences. L’a-t-elle elle-même vécu? « Pas vraiment. Par contre, c’est arrivé plusieurs fois que des mecs s’approchent de la table de mixage pour observer et finissent par nous dire, tout étonnés: « Mais vous mixez vraiment! » Comme si on avait été juste mises là pour faire tapisserie! »

Féminin, Supafly Collective n’est pas forcément féministe. Ou en tout cas pas militant. « Au départ, le but était juste de creuser notre passion, tout en créant une plateforme pour mettre en avant des rappeuses qu’on ne voyait jamais jouer à Bruxelles. Mais sans lancer nous-mêmes de grands slogans. » Ce qui ne veut pas dire qu’au fil du temps, elles n’ont pas développé une certaine sensibilité à la question. « Forcément. Parce que la situation n’évolue que lentement. Autour de moi, je vois plein de filles qui jouent du funk ou de la house. Pourquoi ne sont-elles pas davantage programmées? » Vraisemblablement parce que le domaine reste largement aux mains des hommes. Une domination masculine, et de surcroît majoritairement blanche. « Récemment, on a reçu une lettre super touchante de filles qui nous expliquaient à quel point ça avait été inspirant pour elles de nous voir sur scène, non seulement trois DJ’s femmes, mais aussi issues d’origines diverses: une Marocaine, une Zambienne, et une métisse belgo-guinéenne comme moi. Parce que le fait d’être une femme est une première barrière. Mais il y en a une seconde qui est celle d’être une femme de couleur. Si avec Supafly on peut montrer que c’est possible, c’est déjà énorme. »

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