APRÈS L’INTENSE ET DÉRANGEANT SUKKWAN ISLAND, DAVID VANN RETROUVE L’ALASKA POUR UNE AUTOPSIE D’UN COUPLE À BOUT DE SOUFFLE. FRISSONS GARANTIS.

Sa vie a des allures de roman. Pendant 12 ans, David Vann a tenté de faire éditer l’histoire qu’il avait mis une décennie à échafauder -mais seulement 17 jours à écrire. En vain. Il devra attendre 2008 pour voir Sukkwan Island sortir du purgatoire à la faveur d’un concours littéraire, avec article élogieux du New York Times à la clé, mais à peine 3000 lecteurs à l’arrivée… C’est de l’Europe que viendra finalement le salut. Publié en janvier 2010 en France par une petite maison spécialisée dans le « nature writing », Gallmeister, Sukkwan Island affole immédiatement la critique et les compteurs. Ceux qui ont ouvert ce livre ne sont pas prêts d’oublier ce face-à-face anxiogène entre un père et son fils sur une île perdue de l’Alaska. C’est dire si le deuxième roman était attendu. Désolations ( lire la critique page 39) ne déçoit pas. On y retrouve les territoires de l’auteur -l’Alaska, la nature à double face, à la fois majestueuse et impitoyable, les rêves brisés-, mais avec des accents nouveaux. Si c’était un vin, on dirait qu’il a moins de corps mais qu’il est plus long en bouche. De passage à Paris en juin dernier, David Vann nous a reçu longuement. On s’attendait à devoir tirer les vers du nez d’une sorte d’aventurier bourru, on a rencontré un homme aussi affable que ses romans sont désenchantés. Difficile d’imaginer derrière ce sourire le poids des malheurs (en particulier le suicide de son père) dont il fait les poutres plus ou moins apparentes de ses maisons de papier.

La dimension autobiographique est moins perceptible dans Désolations que dans votre premier roman. Etait-ce prémédité?

L’écriture est un processus inconscient. Je ne choisis pas vraiment l’histoire que je raconte. Même si l’influence est en effet plus diffuse, elle est bien là. J’ai mis un peu de moi dans tous les personnages. Puiser dans mon expérience me permet de donner une force émotionnelle et psychologique au récit.

Les paysages sont des personnages à part entière dans vos romans…

J’ai grandi en partie en Alaska et cet endroit a façonné mon imaginaire. Décrire les paysages est une façon indirecte de décrire les personnages, leur humeur, leur état d’esprit. En ce sens, l’Alaska est un peu le personnage central du livre. C’est aussi un lieu mythique où on imagine pouvoir tout recommencer à zéro après un échec. Beaucoup de gens se rendent là-bas pour se tester, se mettre à l’épreuve sur foi de la vision romantique d’une nature sauvage et consolatrice qui permettra de renouer avec une innocence perdue. La déception est souvent au rendez-vous…

L’écriture a-t-elle un effet cathartique?

Oui. Pas juste en raison de l’histoire douloureuse de ma famille mais aussi de mes propres démons comme la solitude, le mariage ou la paternité. Je pense que la lecture a le même effet. Lire un roman, c’est se confronter à ses zones les plus sombres. On se teste. On se projette. On s’interroge. Et in fine, on apprend à dompter ses peurs.

Comment se met-on dans la peau d’une femme quand on est un homme?

Ça s’est fait naturellement. Il faut dire que j’ai grandi entouré de femmes célibataires. Ce qui m’a appris qu’il n’y avait pas de différences fondamentales entre les 2 sexes. En tout cas sur des choses essentielles comme le désespoir, la solitude, le sens de la vie. Les différences se concentrent sur la surface: le rôle de chacun, qui fait quoi, etc.

Vous n’utilisez pas de ponctuation pour les dialogues, qui se fondent du coup dans le récit. Pourquoi?

Pour immerger le lecteur. Je trouve cette convention artificielle. Isoler les dialogues du reste donne l’impression fausse que certaines choses sont réelles, comme les descriptions, et d’autres plus sujettes à caution parce qu’elles se passent dans la tête des personnages. Pour moi, l’ensemble participe d’un même rêve. Dans la fiction, tout a un sens, tout est signifiant pour l’histoire et les personnages. Rien n’est accidentel. C’est ce qui la différencie de la vraie vie.

Pensez-vous que pour être un bon écrivain il faut être un bon menteur?

Oui. Ecrire c’est faire croire à une illusion. Par chance, je viens d’une famille de menteurs ( rires). La fiction, c’est le meilleur des mensonges. Parce qu’elle dit la vérité. L’inconscient transforme les émotions, les souvenirs pour leur donner une nouvelle réalité qui modifie notre rapport aux autres et au monde. De ce point de vue, un roman est un document aussi important, émotionnellement et psychologiquement, que n’importe quel autre. Et sans doute plus véridique que, par exemple, des mémoires.

Pourquoi les Américains vous boudent-ils?

Les Américains sont de gros bébés. Ils sont effrayés par tout ce qui est un peu compliqué ou sombre ou tragique. Dans les interviews aux Etats-Unis, je dois sans cesse m’excuser du fait que mes livres finissent mal. C’est ridicule. Vouloir absolument un happy end, c’est ignorer la complexité du monde et trahir le réel.

Un mot sur le prochain roman?

Il se déroulera en Californie. En pleine période new age. Il sera totalement différent des 2 premiers, plus fou, moins hanté par la mort. Mais il n’y aura pas de happy end pour autant ( rires).

RENCONTRE LAURENT RAPHAËL, À PARIS

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