DANS NICO, FEMME FATALE, SERGE FÉRAY RETRACE L’ÉNIGMATIQUE PARCOURS DE LA CHANTEUSE, ACTRICE ET MANNEQUIN À LA VOIX LUGUBRE ET À LA BEAUTÉ GLACÉE INTRODUITE PAR LE VELVET.

Nico, femme fatale

DE SERGE FÉRAY, ÉDITIONS LE MOT ET LE RESTE, 304 PAGES.

7

« Il fallait au groupe quelque chose de beau pour contrebalancer le genre de laideur stridente qu’il essayait de vendre et combiner à cela une fille vraiment magnifique, debout devant cette décadence, était ce qu’il fallait. » Ces mots extraits de Nico, femme fatale, repris de Up-Tight, The Velvet Underground Story, sont de Paul Morrissey, bras droit d’Andy Warhol et un temps manager du Velvet Underground. A l’époque, Morrissey a dû batailler pour convaincre Lou Reed de laisser chanter la splendeur blonde sur trois des onze titres du premier Velvet. Alors que son travail artistique et musical est réduit à peau de chagrin, elle touche à elle seule les 100 dollars que les quatre autres membres du groupe doivent se partager.

La manipulatrice, qui a déjà été chassée lorsque paraît l’album culte à la banane, n’est que l’une des différentes Nico racontées par la bio de Serge Féray. Superstar warholienne, modèle des films expérimentaux de Philippe Garrel, chanteuse, actrice, muse, mannequin, mère d’un des fils d’Alain Delon… La longiligne Allemande a vécu 1000 vies et se fait ici tirer le portrait en long, en large et en travers. Née le 16 octobre 1938 à Cologne et morte à même pas 50 ans, le 18 juillet 1988, sur l’île d’Ibiza, Christa Päffgen est une énigme. Une icône d’autant plus mystérieuse qu’elle a souvent dans ses récits pris ses libertés avec la réalité. « Soucieuse de se rajeunir, elle s’est fait naître en 1939, 1942, 1943 ou même 1945, gommant la guerre de sa biographie. Elle s’est inventé des parents espagnol et yougoslave, une mère opiomane, des ancêtres russes, mongols, un père d’origine polonaise ou turque, archéologue ami du Mahatma Gandhi, soufi, derviche tourneur, fusillé sur ordre personnel de Hitler après avoir déserté la SS, mort dans un camp de concentration parce qu’il combattait le régime« . Qu’en est-il d’ailleurs de ce prétendu viol alors qu’elle n’a que treize ans par un sergent noir américain conduit à la potence et qu’elle utilise pour justifier son racisme? Les membres toujours en vie de sa propre famille n’en ont jamais entendu parler.

Vendre le suicide

Tentant de discerner le vrai du faux, Nico, femme fatale raconte ses relations avec Jackson Browne (qui quitte un jour la scène en plein concert), Leonard Cohen, Jim Morrison… Il se penche sur sa carrière solo: Chelsea Girl vendu à 450 exemplaires entre le 1er septembre 1968 et le 14 février 1969, The Marble Index, sa déclaration d’indépendance (« on ne peut pas vendre le suicide« , dira John Cale quant à son échec commercial). Il décortique ces albums, de manière parfois un peu laborieuse, chanson par chanson, comme il décrypte le cinéma de Warhol, revenant d’ailleurs sur le presque assassinat d’Andy par Valerie Solanas.

Féray réussit à donner une idée de ce personnage éminemment complexe. Un personnage insaisissable qui déclare « je pense que les femmes sont inutiles; j’aimerais détruire tout le MLF; elles m’emmerdent » alors qu’elle est « la première fille du rock à monter sur scène pour chanter ses propres compositions, sans guitares électriques comme Suzi Quatro, sans minijupe comme Tina Turner, mais avec sa seule poésie aux influences désuètes, sa musique lancinante, presque liturgique, et les robes amples dans lesquelles elle cache sa beauté« . Un ouvrage tour à tour passionnant et un brin rébarbatif.

J.B.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content