Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

UN PARKING SOUTERRAIN POUR DIRE LA NOIRCEUR DU MONDE. TEL EST LE CANEVAS PLUS QU’INTERPELLANT DE LA 8E BIENNALE D’OTTIGNIES-LOUVAIN-LA-NEUVE. ALORS ON FLANCHE?

Une Exposition Universelle (section documentaire)

8E BIENNALE D’OTTIGNIES-LOUVAIN-LA-NEUVE. JUSQU’AU 17/11.

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On se souvient peut-être de la 7e Biennale d’Ottignies-Louvain-la-Neuve qui avait fait l’unanimité autour de la thématique « Un monde parfait ». Ce succès considérable a permis à l’événement de passer à la vitesse supérieure pour cette nouvelle édition. Du coup, la manifestation a revu ses ambitions à la hausse et Vincent Geens, l’organisateur, s’est offert la collaboration de deux pointures internationales pour la curatelle: Michel François, l’un des plasticiens belges les plus emblématiques, et Guillaume Désanges, critique d’art français. Le résultat? A la hauteur des deux intenses années de travail qui ont été nécessaires. « Le propos est d’une force incomparable, nettement plus pertinent que celui de la dernière Biennale de Venise« , a-t-on pu entendre de la bouche d’observateurs attentifs à la scène artistique actuelle. Il faut dire que les deux commissaires ont trouvé un terrain de jeux particulièrement propice à leur projet, soit le niveau -3 d’un parking souterrain de 4000m2 qui sommeille juste sous la cité universitaire. La trame? Offrir aux visiteurs un « état du monde », côté face cachée, par le biais d’une esthétique détournée, celle des expositions universelles.

Pavillons et étendards

On connaît la visée de propagande des expositions universelles, toujours promptes à faire prendre les vessies des petits arrangements de l’économie pour les lanternes du progrès. A la place d’une avancée vers des lendemains qui chantent, Michel François et Guillaume Désanges proposent une « célébration de la régression, de la masse et du contrôle« . A travers une vingtaine de pavillons, l’oeil prend la mesure d’un monde dans lequel les marchandises circulent mieux que les êtres humains, d’une société dans laquelle l’exclusion est vendue sur catalogue -mobilier anti-SDF, ultra-sons anti-jeunes… Un pavillon de 100m2 est dédié à cette pratique: on y voit une accumulation des dispositifs dont la fonction est « d’introduire la violence dans l’espace public« , comme le fait remarquer Vincent Geens. « Aménager pour mieux exclure« , nouvelle étape du consumérisme après l’obsolescence programmée du « produire pour détruire« . Un autre pavillon interpelle, celui de « l’être et du paraître ». Y sont recensées les différentes astuces utilisées par les trafiquants de drogue afin de dissimuler leur marchandise. Notamment à travers la collection privée de « Madame Juana Marie » qui est celle d’un douanier suisse qui a conservé ces objets improbables, depuis la cravate creuse jusqu’au boulon truqué. Le tout, comme le commente Guillaume Désanges, pour « une économie de moyens exemplaire et humble -puisque destinée à n’être jamais révélée- qui relève d’une dignité intellectuelle dans l’indigence matérielle« . Remarquable, la Biennale l’est par ce point de vue unique et sans fard livré sur le monde actuel. Elle l’est également par le fait qu’on n’y trouve aucune oeuvre d’art à proprement parler mais seulement une masse d’objets manufacturés, du matériel documentaire, des images et des vidéos. Mais ce que l’on apprécie le plus, c’est que la démarche est radicale, c’est-à-dire qu’elle se tient loin de tout cynisme, discours moralisateur ou tentative de complaisance.

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MICHEL VERLINDEN

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