SUDABEH MORTEZAI INSCRIT DANS LE QUOTIDIEN ÂPRE D’UNE CITÉ VIENNOISE ACCUEILLANT DES RÉFUGIÉS LE PORTRAIT D’UN JEUNE GARÇON TCHÉTCHÈNE AMENÉ À DEVENIR UN HOMME AVANT L’ÂGE…

Si le titre de son film résonnera familièrement aux oreilles des lecteurs de Gabriel Garcia Marquez, c’est pourtant une réalité toute autre que dépeint Sudabeh Mortezai dans Macondo (lire la critique page 37), son premier long métrage de fiction, ce nom désignant une cité viennoise accueillant des réfugiés affluant des quatre coins du globe. On doit toutefois à la vérité d’ajouter que ses habitants l’ont baptisée de la sorte en référence à l’auteur de Cent ans de solitude, à quoi s’ajoutait une portée symbolique: « Comme si on avait le monde entier à l’intérieur d’une petite communauté », relève la cinéaste, rencontrée à l’occasion du festival de Gand. « Comme la plupart des Viennois, j’en ignorais l’existence. Jusqu’au jour où j’ai lu un article qui présentait Macondo comme un ghetto de réfugiés, où vivaient plus de 2000 personnes originaires d’une vingtaine de pays. Je me suis rendue sur place, et ce lieu a commencé à me fasciner: on raconte de nombreuses histoires à son sujet, et beaucoup de gens intéressants y sont installés. Par surcroît, la géographie de cet endroit, son architecture même, constituent autant d’invitations à y tourner un film. »

Venue du documentaire -on lui doit notamment Children of the Prophet-, la réalisatrice avait entamé ses recherches en ce sens, tout en pensant déjà en termes de fiction. « Dès le départ, je voulais essayer une forme fictionnelle où l’on perçoive l’influence documentaire. Et une fois sur place, je me suis rendu compte que c’était l’endroit idéal pour ce type d’approche. Beaucoup de ces réfugiés ont connu la guerre, la torture, et ont été longuement interrogés par les autorités. Ils sont très méfiants, et veillent jalousement sur leur intimité. Tourner un documentaire qui creuse suffisamment en profondeur pour avoir de l’intérêt risquait de s’avérer fort difficile. En passant par la fiction, j’ai pu aller plus loin, et libérer les gens de la crainte que le film ne prenne une tournure trop personnelle par rapport à leur vécu. »

Ecartelé entre deux cultures

Inscrit dans un réel âpre, nourri des histoires glanées au fil des rencontres, Macondo est le portrait d’un lieu et de ceux qui le peuplent, le tout envisagé à travers le récit d’une enfance volée, celle de Ramasan, gamin tchétchène de 11 ans, débarqué là en compagnie de sa mère et de ses soeurs. Et qui, en l’absence du père, mort au pays, va rapidement devoir apprendre à se comporter en « petit homme » -le titre français du film-, faisant notamment office de médiateur entre sa famille et le monde extérieur. Moment où l’intervention d’un tiers, ancien ami de son père, va venir changer la donne. « Cette histoire tournant autour de l’enfance et de l’identité alors que l’on grandit entre deux cultures m’a attirée pour des raisons personnelles, poursuit Sudabeh Mortezai. Je suis iranienne d’origine, et j’ai immigré à l’âge de 12 ans. Mon background familial était différent, et nous n’avions pas à craindre pour notre vie: nous sommes partis pour des raisons politiques, ce n’était pas une question de vie ou de mort, alors que beaucoup de gens que j’ai rencontrés n’ont eu d’autre ressource que de s’enfuir. Néanmoins, le contexte est semblable… Cette question de l’identité m’accompagne depuis longtemps. »

Si la réalisatrice a décidé de situer l’histoire dans la communauté tchétchène, il y a plusieurs raisons à cela. La première étant qu’elle était particulièrement bien représentée à Macondo –« on y trouve trois grands groupes ethniques, originaires de Tchétchénie, d’Afghanistan et de Somalie. » Ajoutez-y l’enthousiasme de gamins qui se comportaient spontanément comme de petits hommes, et le choix s’imposait, pour ainsi dire. « J’ai fait appel à des acteurs non-professionnels. Les garçons, je les avais rencontrés lors de mes recherches à Macondo, et j’ai écrit les rôles pour eux. Je les connaissais tellement bien que je savais comment ils réagiraient, en fonction des situations. Pour les adultes, cela s’est avéré plus difficile, parce qu’ils étaient plus méfiants. Pour des raisons politiques, ils voulaient comprendre quelles étaient mes intentions, et ne voulaient pas que le film puisse être utilisé contre eux. Les femmes considéraient par ailleurs souvent que se retrouver dans un film ne serait guère approprié. La confiance s’est installée petit à petit. »

Le cas de Ramasan, le jeune héros du film, et qui allait être pratiquement de chaque scène, s’est avéré plus épineux. « Nous avons dû élargir le casting à toute la communauté tchétchène de Vienne. Nous avons vu beaucoup de garçons, et Ramasan a tout de suite été fort convaincant parce qu’il présentait ce mélange de vulnérabilité et de dureté. Il y avait déjà une très forte personnalité à l’intérieur de ce petit garçon. » Et de fait, la prestation de Ramasan Minkailov n’est certes pas étrangère à la réussite du film, au même titre que sa dimension réaliste, cette perspective quasi documentaire que recherchait Sudabeh Mortezai. Et qui, si elle n’a pas toujours été obtenue sans mal -il lui a encore fallu, parmi d’autres réticences, faire accepter son autorité de réalisatrice dans une société patriarcale; « les réactions étaient partagées », dit-elle dans un sourire entendu-, confère à l’histoire du garçon une résonance singulière. Manière, aussi, de faire tomber les murs, de Macondo et d’ailleurs…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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