EN TROIS FILMS, JEFF NICHOLS S’EST IMPOSÉ COMME L’UN DES RÉALISATEURS AMÉRICAINS MAJEURS DE SA GÉNÉRATION. DÉMONSTRATION AVEC MUD, SUPERBE RÉCIT D’APPRENTISSAGE DÉVIDANT SA TRAME AU FIL DU MISSISSIPPI.

Trois films –Shotgun Stories, réalisé en 2007, Take Shelter, sorti quatre ans plus tard, et Mud, tourné dans la foulée- ont suffi à imposer Jeff Nichols comme l’un des réalisateurs américains majeurs de sa génération. Inscrite dans son Sud d’origine -le cinéaste est né à Little Rock, Arkansas, en 1978-, avec ce qu’il charrie d’imaginaire, son oeuvre est assurément singulière, qui emprunte aussi bien à la mythologie de l’Americana qu’à celle balisant le cinéma hollywoodien et ses genres, sans pour autant s’y laisser réduire. D’un classicisme affirmé, tant par son ancrage que par sa forme, son cinéma est aussi l’expression d’un regard on ne peut plus personnel en effet, vibrant encore d’une intensité brûlante et d’un souffle n’appartenant qu’à lui. Voir ainsi l’élan, irrésistible, qui va porter les jeunes protagonistes de Mud, le film d’une maturité précoce, à l’orée d’un monde, pour un formidable récit d’apprentissage dévidant sa trame dans les eaux boueuses du Mississippi.

Soit donc Ellis (l’épatant Tye Sheridan, vu auparavant dans The Tree of Life, de Terrence Malick) et Neckbone (Jacob Lofland), deux gamins de 14 ans ayant grandi sur les berges du Mississippi, embarquant un jour à destination d’une île, plantée au milieu du fleuve, à la recherche d’un bateau déposé par une crue dans un arbre. L’apparition de ce dernier, irréelle autant que magique, est de nature à bercer leurs fantasmes adolescents. Mais il y a plus, toutefois, en la personne de Mud (Matthew McConaughey), individu énigmatique, échoué lui aussi sur ce petit bout de terre. Le gaillard a, de toute évidence, un passé trouble, qui se cache là de tueurs lancés à ses trousses; les deux garçons n’en décident pas moins de l’aider dans son dessein du moment, à savoir retrouver Juniper (Reese Witherspoon), femme fatale à sa façon et l’amour d’une vie, sans égards pour les risques que comprend l’entreprise.

Une oeuvre majeure

Récit initiatique écrit à hauteur d’adolescence, et assumant à cet égard totalement l’héritage de Mark Twain, Mud se déploie suivant une arborescence touffue, à l’image des multiples bras d’un fleuve dont le film épouse le rythme, paisible mais trompeur. Le voyage conduisant à la perte de l’innocence brasse les figures de la recherche du père comme de la soif d'(amour) absolu; l’aventure, palpitante, prend aussi les contours d’un vénéneux polar du Sud quand elle ne décline pas les tonalités pâlissantes d’un monde à l’agonie -le tout, dans un mouvement d’une confondante fluidité, inscrit au confluent de la douceur et de la violence. De quoi conférer à cette toile d’une suffocante beauté une épaisseur et une densité peu banales, qui en font sans conteste un tout grand film -l’une des oeuvres marquantes du cinéma américain de ces dernières années, pas moins.

L’édition Blu-ray propose de courtes interviews des comédiens, et notamment de Matthew McConaughey, qui s’avère tout simplement incroyable dans un emploi guère moins saisissant que celui du tueur de Killer Joe. Jeff Nichols précise pour sa part avoir écrit le rôle pour l’acteur sans même le connaître, mais aussi avoir porté ce projet pendant une dizaine d’années. On brûle désormais de connaître la suite de son parcours, qui devrait le voir se tourner, à sa manière s’entend, vers la science-fiction, puisque son prochain film, intitulé Midnight Special, évoquerait le Starman de John Carpenter… ?

MUD. DRAME DE JEFF NICHOLS. AVEC TYE SHERIDAN, JACOB LOFLAND, MATTHEW MCCONAUGHEY. 2 H 10. DIST: TWIN PICS.

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TEXTE Jean-François Pluijgers

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