[l’album de la semaine] Denzel Curry – « Melt My Eyez See Your Future »: l’art d’être soi

© getty images
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Habitué à faire parler la poudre, Curry propose un cinquième album toujours aussi personnel et rageur, mais plus posé, gagnant une nouvelle envergure.

Parce que la soif de nouveauté du public est insatiable, il n’est jamais facile de construire une carrière. Entendez une trajectoire au long cours, assez intrigante que pour entretenir la curiosité, sans s’enfermer dans une formule dès le succès arrivé. Lassé, Denzel Curry exprimait son ras-le-bol il y a deux ans: « Je déteste rapper« , tweetait-il, dégoûté par le jugement permanent, la pression du public et les règles tronquées de l’industrie musicale. Le rappeur de Carol City, en Floride, s’est pourtant accroché. Il a bien fait. Patient et tenace, il revient avec Melt My Eyez See Your Future, un cinquième album, qui est aussi son meilleur.

Western moderne

Il y a une dizaine d’années, Denzel Curry sortait une première mixtape (King Remembered Underground Tape 1991- 1995) et se retrouvait rangé dans la case SoundCloud rap. Soit une variante lo-fi, souvent très sombre, à l’âpreté grunge. Pour autant, même dans ses moments les plus rêches, Denzel Curry a toujours proposé une musique plus profonde que les autres stars du genre. Cela n’a jamais été aussi évident que sur Melt My Eyez See Your Future. Il a longtemps fait des morceaux pour sauter et pogoter en concert. Désormais, il préfère mettre l’accent sur un rap plus posé. Toujours aussi intense, mais cherchant moins à mettre une claque qu’à épaissir le propos. Musicalement, la proposition n’en est que plus riche, empruntant aussi à la trap (Ain’t No Way) qu’à un certain âge d’or du hip-hop (les années 90, comme sur The Iills), mais aussi à la soul, au jazz -le trompettiste Robert Glasper sur Melt Session #1-, ou même à la drum’n’bass (Zatoichi avec Slowthai).

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Âgé de 27 ans, Denzel Curry a désormais vécu plus longtemps que Trayvon Martin, camarade de classe (tué à 17 ans), son pote rappeur XXXTentacion (20 ans), son idole Tupac (25 ans), ou même son propre frère, décédé après avoir été « tasé » par la police… « Survivant », comment utiliser ce temps presque inespéré? Dans la vidéo du single Walkin, Denzel Curry avance dans un décor de western désertique, en cow-boy solitaire. Il trace sa route, comme lancé dans une quête personnelle. Dans une récente interview, il expliquait également comment la vision d’un documentaire sur Toshirô Mifune, l’acteur fétiche de Kurosawa, lui avait rappelé à quel point l’art avait besoin en permanence de mouvement. C’est clairement le cas de Melt My Eyez…, magnum opus, qui résume à la fois son parcours, tout en l’amenant encore ailleurs, mélangeant tourments personnels (Mental) et désillusions politiques (John Wayne, sur la culture des armes aux États-Unis). À la sortie de son disque précédent, le déjà excellent Zuu, on posait dans ces mêmes colonnes l’hypothèse selon laquelle le rappeur n’était plus très loin de sortir son chef-d’oeuvre. Trois ans plus tard, Melt My Eyez See Your Future en a tous les attributs.

Denzel Curry, « Melt My Eyez See Your Future », distribué par Loma Vista. ****(*)

Le 06/05 à l’AB, Bruxelles.

[l'album de la semaine] Denzel Curry -

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content