Contrairement à ce que pourrait laisser croire son nouveau roman, Juliet, Naked, Nick Hornby, l’auteur d’High Fidelity, n’est pas qu’un passionné de musique. Il est aussi un grand fan de foot. Conversation avec un Gunner.

Une veste rapiécée sur le dos, un petit béret sur la tête et une clope au bec… Nick Hornby est tel qu’on l’imaginait. Le genre d’Anglais qu’on croise dans les stades et les pubs. En 1992, Hornby sortait Carton jaune. Un premier roman né d’un besoin impérieux: comprendre son obsession pour le football. En 2010, l’auteur d’ High Fidelity et About a Boy est toujours écrivain, supporter d’Arsenal et il nous revient avec Juliet, Naked (voir critique, page 40). Destins croisés d’une star de la musique recluse et d’un fan maladif. Balle au centre.

Rockeur, footeux… La plupart de vos livres parlent d’obsédés qui refusent de grandir. Vous en êtes un?

J’aime la musique. J’en écoute beaucoup. Mais je ne pense pas. J’ai du mal à comprendre ces mecs qui collectionnent le moindre enregistrement pirate de leur groupe fétiche. Quitte à ce que le son soit dégueulasse et la musique inaudible. C’est le foot qui m’a toujours fasciné depuis que je suis gamin. Mais tous deux m’ont sociabilisé. C’est puissant de partager une passion avec quelqu’un. On fait partie d’une communauté sans même vraiment le vouloir. Encore aujourd’hui, j’entame la conversation dans le métro avec le mec qui lit les rubriques sportives ou culturelles d’un journal. Pas avec celui qui est plongé dans les pages économiques. L’obsession peut souvent remplir nos petites vies trouées. Ceux qui ont un boulot et des gosses n’ont pas autant de temps que les autres pour se laisser absorber.

La musique et le cinéma sont-elles deux passions comparables?

Pas sûr. La musique ne peut pas te rendre malheureux à moins que tu le souhaites. Si tu écoutes des chansons tristes, c’est que quelque part tu cherches la mélancolie. Avec le foot, tu ne contrôles rien ou pas grand-chose. Un mauvais résultat sur lequel tu n’as aucune prise suffit à ruiner ta vie ou du moins ton week-end. Ça n’arrive jamais avec un album.

Vous préférez dEUS ou Vermaelen?

Je n’échange pas le défenseur central des Gunners. C’est notre seul bon transfert de l’année.

Vous seriez qui, vous, si vous étiez footballeur?

Quel que soit le nom que je citerais, il serait meilleur joueur que je suis écrivain. L’activité d’auteur est similaire à celle d’un gardien dans une grande équipe. Vous ne foutez rien pendant la majeure partie de la journée. Faut juste assurer de temps en temps.

Existe-t-il selon vous beaucoup de connexions entre foot et rock?

Quand j’étais gamin, le football n’était pas cool du tout. Aucun groupe, aucun chanteur n’osait parler de foot dans ses interviews. La seule exception ou presque, c’était Rod Stewart avec les Faces. C’est sans doute pour ça que je l’aimais bien. Tout a changé dans les années 80. Les frères Gallagher affichent clairement leur amour pour Manchester City. Pete Doherty a créé un fanzine de QPR (NDLR: Queens Park Rangers) et je pense même que Robbie Williams a investi du pognon dans son petit club local.

En tout cas, les concerts marchent aussi bien que les matchs ces derniers temps…

Je connais des mecs dans des boîtes commerciales. Ils invitent leurs clients à des concerts. Encore un peu au foot mais en tout cas plus jamais à l’opéra. Il y a 2 ou 3 ans, Prince a donné 31 concerts à Londres en 3 mois. Et ce dans une salle de 20 000 personnes. La moindre date était sold out. Et j’y ai été. Comme tout le monde… Dans des salles pareilles, quand t’as un mauvais siège, tu passes une mauvaise soirée. J’avais un mauvais siège… Récemment, j’ai vraiment beaucoup aimé Sharon Jones & The Dap-Kings.

Dans votre roman, vous remarquez, je vous cite, que « les musiciens sont des enfoirés et ce depuis le jour où on a inventé le luth. » Est-ce que les footballeurs sont des cons depuis l’invention du ballon?

Non. Je ne pense pas. Quand vous donnez à un gamin sans beaucoup d’éducation autant de pognon que gagnent tous ses amis réunis, il va se comporter comme un crétin. C’est inévitable. Une conséquence directe du professionnalisme. Les montants versés aux footballeurs aujourd’hui dépassent tout entendement. En une petite semaine, la plupart des joueurs en Grande-Bretagne gagnent trois fois le salaire annuel moyen d’un Anglais. Ça cause des dégâts dans la tête d’un gamin de 20 ans à peine. En même temps, je préfère que le pognon aille dans sa poche que dans celle de ses dirigeants.

Alcool, sexe, bagarres… Les footballeurs ne sont pas quelque part les rock stars d’aujourd’hui?

A notre époque, la diffusion et la consommation de musique sont devenus tellement morcelées qu’il est très compliqué pour un musicien de devenir le centre de toutes les attentions. De nos jours, on n’a pas des dizaines de groupes avec des millions de fans. On a plutôt des millions de groupes avec une dizaine de fans. Dans le foot, si t’es le meilleur, tout le monde ou presque le reconnaît. Te veut et te vénère. Vous ne me ferez jamais avaler qu’un footballeur que je ne connais pas et qui évolue en troisième division belge est meilleur que Messi. On peut par contre discuter pendant des semaines, des mois, des années, sur le fait que mon groupe est meilleur que le vôtre sans pouvoir mettre fin au débat.

Le football a-t-il participé à votre émancipation culturelle?

J’aimerais bien pouvoir le prétendre mais la seule chose qui lie véritablement le foot et la musique dans ma vie, c’est qu’Arsenal monte sur le terrain au son de The Wonder of You d’Elvis Presley. Beaucoup de gens ont peut-être découvert les White Stripes en entendant Seven Nation Army dans un stade mais ce n’est pas mon cas. Je me suis par contre intéressé à beaucoup de films et de bouquins à travers la musique. Les joueurs ne s’intéressent pas vraiment à la culture. Contrairement aux musiciens qui n’arrêtent pas de citer dans leurs interviews les réalisateurs et les auteurs qui les ont influencés. Quand je lisais que l’un aimait Kerouac et l’autre Godard, je tenais à les découvrir. Je ne pense pas que Thierry Henry ait un jour cité un disque ou un livre qui m’intéresse.

Quels sont justement les films, les chansons, les bouquins qui évoquent selon vous le football de manière pertinente?

Il s’agit surtout de livres. Je pense à Football against the Enemy de Simon Kuper et Brilliant Orange de David Winner. Tous deux ont réussi à déborder, à sortir du terrain. Ils sont parvenus à parler d’autre chose que de football. Brilliant Orange s’interroge sur la production par un aussi petit pays que les Pays-Bas d’autant de champions du ballon rond. Il questionne la relation particulière qu’entretiennent les Hollandais à l’espace, s’interroge sur l’ingéniosité de leur architecture. Elle reflète un véritable état d’esprit. Winner compare des tactiques à l’art mais sans que ce soit prétentieux. C’est vrai, on peut tracer un parallèle avec Carton jaune. Pour moi, le football était une belle opportunité de psychologie. De me pencher sur le choix d’un club, l’histoire sociale d’un pays…

Vous vous dites plus profondément obsédé par le foot que par la musique. Pourquoi alors continuer à parler de rock dans vos livres et ne plus évoquer le sport que vous aimez tant?

En un roman, j’avais écrit tout ce que j’avais à dire du foot. Il y a bien plus de choses à raconter sur la musique. Puis, elle possède un côté éminemment métaphorique. Dans Juliet, Naked, j’évoque un musicien mais ça aurait tout aussi bien pu être un auteur. Tout le monde se fout des écrivains. Même moi. Mon bouquin parle autant de musique que de panne d’inspiration et de mutisme artistique.

Au fait, vous en pensez quoi des chansons de coupe du monde?

Elles sont souvent d’assez mauvais goût mais le morceau que New Order a composé en 1990 était génial. C’est dur de dire ô combien ton pays est grand et fort. Ce n’est pas quelque chose de très naturel. Vous avez envie d’écrire un morceau qui explique que la Belgique est formidable?

Entretien Julien Broquet

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