AVEC LE DIABLE, TOUT LE TEMPS, DONALD RAY POLLOCK PLACE L’OHIO AU CENTRE DU MONDE DES LIVRES. UN ROMAN NOIR DANS LA GRANDE TRADITION, PAR UN PREMIER AUTEUR DE 57 ANS.

« Quatre cent personnes environ vivaient à Knockemstiff en 1957, et en raison de Dieu sait quelle malédiction, que cela tînt à la lubricité, à la nécessité, ou simplement à l’ignorance, presque toutes étaient liées par le sang. (…) Et si jamais il avait dû habiter dans un endroit comme Meade, Ohio, il se serait flingué. Dans cette ville, on ne trouvait même pas une laitue. Tous ce que les gens mangeaient, apparemment, c’était du gras, et encore du gras.Ainsi pensait Willard Russel en arrivant dans ce trou. » Un trou dans lequel, pourtant, il va rester coincé. Lui, comme son fils, et comme une dizaine de personnages, tous criminels, tous émouvants, qui nous emportent dans un flot de sang de l’Ohio à la Virginie Occidentale, de 1945 aux sixties. Dans une croisée de destins mêlant fous de Dieu, serial killers, freaks, et plus rarement des innocents. Une tragédie grecque mais à l’Américaine, rurale, prolétarienne et extrêmement violente. La Californie avait Steinbeck, l’Oklahoma avait Thompson, les « Four Corners » pleurent encore Tony Hillerman. Le Midwest (qui porte mal son nom, il se situe au nord-est des USA) possède désormais lui aussi son grand auteur américain. Avec un premier roman publié à l’âge de 57 ans. Jusque-là, Donald Ray Pollock était ouvrier dans une usine de pâte à papier. A Knockemstiff, Ohio. Un coin qu’il ne quittera pas, et sur lequel il écrira encore.  » Je les connais. C’est chez moi.  »

Votre roman est très sombre, rural, avec énormément de souffle… On pense à Steinbeck, Thompson, McCarthy… Est-ce assumé, voulu? Quelles sont vos références de lecteur?

Pour la géographie, pour les personnages que je présente, il y a de tout ça c’est vrai. Je les ai lus, je les admire. Il y a aussi Harry Crews ou Flannery O’Connor pour être encore plus près de chez moi et ce « Southern Ohio Gothic ». J’ai beaucoup lu avant d’écrire. Le premier qui m’a soufflé, excité, c’était un roman resté inconnu, à propos de pauvres pendant la Dépression, dans le Midwest. Beaucoup d’alcool, beaucoup de givrés… comme dans mon livre. J’avais 15 ans, et j’ai réalisé qu’on pouvait écrire sur ces gens-là. Ça m’a beaucoup inspiré.

Votre parcours est insensé. Vingt-sept ans à l’usine, puis sans jamais avoir écrit, vous vous lancez?

J’ai rapidement laissé tomber l’école pour aller bosser. Je lisais beaucoup, mais je n’avais aucune inclinaison pour l’écriture. J’étais plus intéressé par boire et me défoncer, autre grande tradition américaine. Mon père m’avait trouvé ce job, c’était pas mal à l’époque, je comptais y rester deux ou trois ans. Et puis je me suis retrouvé coincé, comme tout le monde, par l’argent, la famille, les habitudes. Le déclic est venu à 45 ans. Vous pouvez appeler ça la crise de la quarantaine, je ne sais pas. J’ai senti que je devais vraiment faire autre chose, j’ai donc décidé d’apprendre à écrire. Je savais que je pouvais être très discipliné. J’ai prévenu ma femme, j’ai obtenu une bourse, je me suis donné cinq ans pour bosser dur et voir ce que ça donnait.

On peut vraiment apprendre à écrire? A devenir écrivain?

Je pense, oui, je l’ai fait en tout cas. Je ne connaissais personne, mais j’ai lu des interviews, des biographies. J’ai commencé à copier les histoires des autres, les styles, les sujets. J’écrivais sur des gens qui habitaient la Côte Est, des avocats, des docteurs… Rien ne marchait, tout était très mauvais. Et enfin, je me suis rendu compte que je devais simplement écrire sur les gens que je connais.

Vous connaissez des serial killers, des prêtres pédophiles, des types qui égorgent leur femme, persuadés de pouvoir réveiller les morts?

Je crois que je ne connais pas de serial killer! Mais je suis familier avec ceux qui pensent comme mes personnages. Je sais qu’il y a de meilleurs endroits pour vivre, mais c’est chez moi, j’ai accepté ce principe. Ce n’est pas une obsession, mais je m’intéresse aux gens qui ne peuvent pas sortir de leur milieu, de leurs problèmes, qui restent coincés dans une situation. Aux USA, la légende veut que si l’on bosse dur, on peut s’en sortir. Je sais que ce n’est pas vrai.

Comment expliquez-vous que la violence soit à ce point inscrite dans la littérature américaine?

Je ne suis pas assez familier avec le reste du monde pour pouvoir faire des comparaisons. La violence fait partie de notre normalité. Tout le monde a un flingue. Le poids de la religion est très fort, classant tout en Bien et Mal, avec ce besoin de s’ériger des règles, alors que l’on sait que la Tentation est souvent la plus forte. J’ai grandi à Knockemstiff, mon père pouvait être une personne violente, je l’ai vu se faire poignarder. La violence me terrifiait, je l’ai donc bien observée. Et puis j’ai vite compris que les gros problèmes faisaient souvent les bons bouquins. J’ai essayé d’écrire des trucs gentils. J’ai essayé, mais je ne sais pas faire ça. l

u LE DIABLE, TOUT LE TEMPS, DE DONALD RAY POLLOCK, ÉDITIONS ALBIN MICHEL, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN, 380 PAGES. (*****)

RENCONTRE OLIVIER VAN VAERENBERGH, À SAINT-MALO

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