RÉALISATRICE CÉLÉBRÉE DE TE DOY MIS OJOS OU TAMBIÉN LA LLUVIA, L’ESPAGNOLE ICÍAR BOLLAÍN SIGNE AVEC EL OLIVO UN CONTE SOCIAL TENDU VERS LA LUMIÈRE, MÊME SI HANTÉ PAR LE SPECTRE DE LA CRISE.

Il est vain de chercher à vivre sans racines, semble vouloir nous souffler El Olivo, fable à l’ancrage réaliste mais en quête perpétuelle d’enchantement, et d’un élan symbolique certes parfois fort schématique mais pas moins généreux pour autant. Recourant régulièrement au flash-back, le film raconte un combat à la David contre Goliath mais c’est aussi le portrait sensible d’une jeune idéaliste à la vie en pagaille, Alma, s’aventurant hors de l’exploitation agricole où elle a grandi pour remonter la piste d’un vieil arbre cédé contre monnaie sonnante et trébuchante, et dont ni elle ni surtout son grand-père ne parviennent à faire le deuil. Le voyage qu’elle entreprend alors la mènera au coeur d’une certaine réalité capitaliste mais aussi à la découverte d’elle-même. Rencontrée à Flagey, lors du récent Brussels Film Festival, la réalisatrice Icíar Bollaín opine: « Oui, le voyage est double: physique et intérieur. Mais, à l’arrivée, l’idée est la même: être en paix avec soi-même. »

Partant d’un prétexte très local pour tendre vers un propos universel, Bollaín met en scène un incroyable olivier millénaire, personnage à part entière d’un film pour lequel il a dû passer un casting. Comme un acteur. « Notre directeur artistique a parcouru dans tous les sens cette rare région d’Espagne -dans la province de Castellón, près de Benicàssim- où l’on trouve encore beaucoup de ces vieux oliviers. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été sélectionnés, et mon choix s’est finalement porté sur celui que vous voyez à l’écran. C’était le deuxième plus grand du lot. Il devait réunir un certain nombre de caractéristiques: il devait être imposant et beau, il fallait pouvoir y grimper, mais aussi qu’il puisse assez facilement faire l’objet d’une copie en silicone. »

Le scénario du film impliquant son dessouchage et son transport vers l’Allemagne, un moulage était en effet nécessaire, qui a été effectué par un artisan professionnel spécialisé dans la reproduction d’arbres pour les musées ou les zoos. « C’était un véritable challenge. Rien que le tronc d’origine mesurait huit mètres de diamètre. Il fallait en outre que la copie, à la structure métallique, soit ininflammable. Nous n’allions tout de même pas déraciner le véritable arbre, cela aurait été une aberration totale en regard de la morale du film! »

Road trip travaillé par la question du sens, et hanté par le spectre de la crise, El Olivo se construit autour d’une série d’oppositions marquées -entre passé et présent, tradition et modernité, Espagne et Allemagne… « Pour autant, il était important que les personnages ne soient pas noirs ou blancs. Un film se doit de dépeindre des êtres complexes et contradictoires, comme dans la vie. »

Le fond et la forme

A 49 ans, Icíar Bollaín se réclame aussi bien du cinéma des frères Dardenne que de celui de Ken Loach. Comme ce dernier, elle a le chic d’assaisonner son réalisme social d’un humour pétillant, qui est aussi plus qu’une simple politesse du désespoir. « Je pense que vous avez une vraie responsabilité en tant qu’auteur. Quand vous racontez une histoire, il est essentiel de réfléchir au sentiment sur lequel vous allez laisser votre audience. Il est tellement facile de sombrer dans la déprime, et d’y entraîner les autres à votre suite, mais je ne vois pas l’intérêt. Quand j’ai réalisé Te doy mis ojos (drame multi-primé sur le thème de la violence conjugale, NDLR) il y a une bonne douzaine d’années, la question s’est posée de manière très aiguë: fallait-il clore le film sur l’issue fatale que connaissent tellement de femmes plongées dans cette situation? J’ai décidé que non. L’espoir existe, c’est mon rôle d’en entretenir la flamme. »

Cinéaste doublée d’une actrice, Bollaín a en fait déjà joué devant la caméra de Ken Loach -en 1995, dans Land andFreedom-, connexion via laquelle elle fera la connaissance de Paul Laverty, devenu scénariste attitré du réalisateur anglais, avec qui elle vit désormais à Édimbourg, et qui lui a écrit También la lluvia en 2010 et El Olivo aujourd’hui. « J’admire toujours énormément le travail de Ken Loach. Il ne dévie pas de la ligne créative qu’il s’est fixée tout en restant éminemment connecté à ce qui se passe autour de lui.  »

Quant au débat qui n’a pas manqué d’éclater, dans la foulée de la récente Palme d’Or récompensant son I, Daniel Blake à Cannes, entre tenants d’un cinéma « à message » et adeptes d’une plus grande ambition formelle, Icíar Bollaín préfère s’y soustraire en optant pour la voie du milieu. « Les films purement esthétiques m’ennuient. J’aime les oeuvres qui produisent un commentaire sur le monde, mais trouver la manière la plus adéquate et inventive de le délivrer est un enjeu tout aussi crucial. »

El Olivo. D’Icíar Bollaín. Avec Anna Castillo, Javier Gutiérrez, Pep Ambròs. 1 h 40. Sortie: 13/07.

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