« J’ai veillé à ne pas faire un concentré d’americana, mais un film authentique et vrai »

Un adolescent solitaire se prend d'affection pour un pur-sang vieillissant dans le nouveau film d'Andrew Haigh. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Lean on Pete, le réalisateur britannique Andrew Haigh double le récit d’apprentissage d’un road-movie insolite inscrit dans la rude beauté des paysages américains.

On avait quitté Andrew Haigh dans la campagne anglaise sur 45 Years, drame pudique voyant un couple au long cours contraint de reconsidérer ses petits arrangements avec l’existence; on le retrouve aujourd’hui du côté de Portland, Oregon, embrassant l’espace étatsunien sur les pas d’un ado solitaire à la recherche de sa place dans le monde. « J’aime m’aventurer dans des univers nouveaux et les explorer, sourit le réalisateur britannique, rencontré lors de la Mostra de Venise. J’ai toujours voulu tourner un film aux USA. J’y ai vécu par intermittence ces quatre dernières années, et je connais donc relativement bien. L’Amérique exerce une sorte de fascination sur moi tant au niveau culturel que sur le plan économique, avec son impact sur le reste du monde, pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs. Quand je suis tombé sur le roman de Willy Vlautin à l’origine du film, il y a environ cinq ans de cela, j’en suis tombé amoureux, tout comme du périple qu’entreprend Charley. J’ai éprouvé beaucoup de compassion pour ce garçon, comme si j’avais voulu le protéger… »

Tout le monde a ses raisons

Récit d’apprentissage classique mais néanmoins singulier, l’histoire de Charley, qu’interprète l’impeccable Charlie Plummer, prend à l’écran la forme d’un road-movie singulier, suivant le garçon solitaire alors qu’il prend la route en compagnie de Lean on Pete, un pur-sang déclassé avec lequel il s’est lié d’amitié. Des champs de course de l’Oregon au Wyoming en passant par l’Utah ou le Colorado, c’est le portrait d’une autre Amérique qui s’esquisse, nourri pour partie de mythologie -« quand on grandit en Angleterre, l’idée même de l’Amérique, avec ses grands espaces, ses perspectives et la liberté qu’elle a à offrir est évidemment séduisante– mais aussi d’une réalité appréhendée par le cinéaste au gré d’un road-trip ayant emprunté l’itinéraire du roman. Le fait d’être un outsider permet, je pense, de voir les choses sous un angle légèrement différent. J’ai aussi veillé à ne pas faire un concentré d’americana, mais bien un film authentique et vrai, fidèle aux particularités du monde dont je parlais. »

Ce faisant, Lean on Pete s’inscrit comme à contre-jour de l’imagerie généralement véhiculée par l’Amérique, évoquant plutôt l’héritage d’un John Steinbeck et des Raisins de la colère, par exemple. Portée que souligne encore sa dimension intemporelle: « Le film a été tourné avant l’élection de Donald Trump. À l’époque, on pouvait voir des exemples de sa rhétorique un peu partout, mais je n’ai pas voulu situer le film à ce moment précis, vu que les choses continuent à changer, et qu’elles pourraient s’aggraver comme s’améliorer. Je tenais à avoir cette dimension intemporelle, parce que, quoi que l’on puisse reprocher à Trump, des gens ont été délaissés par la société depuis des années, et pas seulement aux USA. On a tendance à oublier combien la situation était merdique pour un grand nombre de personnes avant Trump déjà, elle n’a jamais fait qu’empirer depuis qu’il est au pouvoir. » Et de relever, au passage, l’image tronquée qu’ont nombre d’Américains eux-mêmes de leur pays: « Les gens de L.A. ou New York vivent dans une sorte de bulle libérale. Mais très vite, lorsque l’on sort des villes, la réalité est tout autre. Il y a tout un monde, là-bas, peuplé de gens qui se débattent avec l’existence. Et dont l’image s’est encore détériorée avec la victoire de Trump parce qu’ils sont perçus comme ses électeurs. Mais il y a des raisons s’ils ont voté pour lui. Et plutôt que de les disqualifier, il vaudrait mieux essayer de les comprendre… »

« Tout le monde a ses raisons« , faisait dire Jean Renoir à l’un des personnages de La Règle du jeu, une sentence que pourrait fort bien reprendre Andrew Haigh à son compte, tant le réalisateur se refuse à condamner les personnages de Lean on Pete. « Dans beaucoup de films, on a un protagoniste confronté à des antagonistes plus atroces les uns que les autres. Mais dans la vie, les gens ont toujours des raisons d’agir comme ils le font. Et s’il leur arrive d’être dégueulasses avec d’autres, ils ne sont pas pour autant foncièrement mauvais. Je tenais donc à leur témoigner un minimum de sympathie. » Disposition bienveillante n’atténuant en rien la dureté de l’environnement dans lequel évolue Charley -« un élément m’ayant parlé dans ce roman, c’est son intense solitude, et la façon dont tout ce qui lui arrive ne fait que l’isoler encore un peu plus. Tout cela alors qu’il ne fait jamais qu’aspirer à quelque chose de fort simple, à savoir avoir une famille. Si Lean on Pete est porté par l’espoir, ce n’est pas nécessairement un film optimiste… »

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