L’âme du pouette

Gilles Rochier revient à sa manière sur les traumatismes causés par les attentats de Paris: en soufflant dans une trompette. Encore et encore.

 » C’était vendredi soir. Avec Kader, on regardait le match de foot à la télé. À la première explosion, j’ai trouvé ça bizarre… À la deuxième, j’ai compris qu’il se passait quelque chose… Et après, je suis allé voir sur Twitter. » Ainsi commence Solo, la nouvelle autofiction de Gilles Rochier ( La Cicatrice, TPMP, La Petite Couronne). Et c’est aussi une des dernières fois que vous y entendrez la voix de l’auteur et du personnage principal: dans les 86 planches qui suivent, il ne fait que souffler dans une trompette, et émettre des « pouet », des « pouette », et encore des « pouettte ». L’instrument, dès le lendemain des attentats du 13 novembre 2015, devient son unique moyen d’expression, au grand dam de ses amis et des habitants de sa banlieue de Nanterre qu’il chronique depuis plus de quinze ans et ses premiers fanzines auto-édités. Un bruit de trompette (très) mal jouée qui ne tient pas du free jazz de génie comme ses potes se l’imaginent un moment, mais plutôt du cri de désespoir, de l’abattement ou de la sidération -tant ces attentats vont atteindre leur but: provoquer un choc dans toute la population française tout en stigmatisant une grande partie de celle-ci.  » Parce que tu crois que les gens vont pas tout mélanger? », se demande ainsi un de ses amis qui le regarde soupirer dans son instrument depuis des jours sur le toit de son immeuble.  » Pas faire l’amalgame? Et puis s’ils ne le font pas, t’inquiète, la presse le fera pour eux. » Et de raconter, par petites touches, en saynètes et avec autant d’humour que de pouet, le traumatisme de son quartier -et son propre mal-être.

L'âme du pouette

Entre rires et larmes

C’est émouvant, un homme qui souffre. Surtout quand il ne dit plus rien, qu’il ne peut plus rien faire d’autre que de souffler dans sa trompette bas-de-gamme, et qu’il est dessiné et raconté par Gilles Rochier, grand talent de la BD indé. Celui-ci aime à préciser qu’il ne raconte jamais la banlieue, mais bien les humains qui habitent son quartier. Avec leur phrasé, leurs repères socio-culturo-religieux, leur franc-parler et leur sens de la vanne, affûtés comme jamais. Avec leur sens aigu de l’amitié, aussi -son pote Kader, même s’il n’en peut plus de ses « pouet », ne le lâche pas d’une semelle. Gilles Rochier raconte ainsi, comme personne, la tristesse d’un homme, de son époque et d’une population  » qui n’a pas le droit d’être triste« : en ciselant chaque dialogue et chaque éclat d’humour, et en remplaçant, avec beaucoup de pudeur, les larmes par des notes. Le tout dans un style graphique -tout en bichromie et hachures- qui colle parfaitement au ton et à l’atmosphère de ce Solo capable de toucher autant que de faire marrer. Chapeau l’artiste.

Solo

De Gilles Rochier, éditions Casterman, 88 pages.

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