FRAÎCHEMENT ANNONCÉ À L’AB, BILL CALLAHAN (ANCIENNEMENT SMOG) ÉVOQUE LA CONCEPTION DE SON NOUVEL ALBUM, LE DUB, SON EXPÉRIENCE D’ÉCRIVAIN ET KEROUAC.

La rencontre aurait dû se produire à Londres. Puis à Paris. C’est finalement via Skype que le timide -mais il se soigne- Bill Callahan répond à nos questions, de chez lui, à Austin. Une casquette Moog bleue sur la tête et un sourire accueillant au coin des lèvres.

Il paraît que Bill Callahan, c’est un personnage par album. De qui parle Dream River?

De ce type, dans le titre d’ouverture du disque (The Sing), qui est assis seul à un bar d’hôtel et part dans un voyage mental. S’abandonne à ses pensées, ses souvenirs, ses rêves que racontent les morceaux suivants. Et qui, à partir de Seagull, commence à retrouver ses esprits et revient à la réalité pour, sur la dernière chanson, reprendre le volant et rentrer à la maison. Je voulais un disque qu’on puisse écouter avant d’aller se coucher, pas des sons bruyants ou des choses qui fâchent. Je tenais à enregistrer un album relaxant. J’aime les bars d’hôtel. C’est comme les aéroports. Des lieux où se croisent des tas de gens différents. Des gens que je préfère observer que rencontrer. L’entrée en matière te fait penser à Lost in Translation? J’ai vu le début à deux reprises mais je n’ai jamais été plus loin. Un bon test: si tu coupes un film après trois quarts d’heure et qu’il ne te poursuit pas, que tu te fous de ce qui va arriver à ses personnages, c’est que tu peux laisser tomber.

Vous avez apparemment modifié votre méthode de travail?

Oui, j’ai essayé de me débrouiller pour que l’enregistrement soit facile. D’habitude, je me barre pendant trois mois et demi. Je bosse 18 heures par jour. Je me coupe du monde. Je ne fais strictement rien d’autre. Et là, je me suis dit que ce n’était pas un passage obligé. J’ai voulu voir si je pouvais faire un disque et en même temps prendre soin de moi. Garder une vie sociale. Je bossais quelques heures par-ci, quelques heures par-là. Dès que tu commences à plancher sur un projet, ton cerveau entame tout un processus sur lequel tu n’as pas de contrôle. Et comme la plupart du temps, tu réalises qu’une petite partie seulement de tes longues séances de boulot a été créative et constructive, j’ai privilégié de courtes plages dans la foulée desquelles je revenais à la vie normale. Je laissais mon subconscient et mon inconscient améliorer les choses. J’ai passé du temps avec mes potes et fait de l’exercice. Couru. Nagé. Nettoyé la maison aussi. Ce fut une bonne leçon pour moi. Il est nettement plus sain et gai de continuer à vivre socialement que de mourir pendant trois mois tous les deux ou trois ans.

Il paraît que Sur La route de Kerouac a été très important pour vous?

C’était il y a bien longtemps. Je devais avoir 18 ou 19 ans. Il s’agissait de ma toute première confrontation à l’écriture Beat. C’était génial pour un petit mec de cet âge-là qui avait besoin d’être encouragé. La Beat Generation parle de mouvement. De flux de conscience. Quand tu es à l’école et qu’on te fait lire Tolstoï ou Dostoïevski, c’est si énorme, si monumental, que tu imagines l’ampleur du travail. Mais quand tu tournes les pages de Sur la route, tu peux presque entendre les doigts taper sur la machine à écrire et Kerouac boire son café. Quand tu es jeune, tu as ce genre de fantasme de monter en voiture et de te barrer. Sur la route valide, légitime ces aspirations. Perso, je suis parti en Californie. J’ai quitté mon boulot avec 8000 dollars de côté et j’ai traversé le pays avec ma valise et un chat à livrer.

Il y a trois ans, vous avez sorti un roman épistolaire, Letters to Emma Bowlcut. Vous vous sentez encore des aspirations d’écrivain?

Oui. A chaque fois que je m’assieds pour rédiger de la prose ou quelque chose du genre, je me sens super bien. Un peu comme si mon corps et mon cerveau venaient à la vie. Mais la musique arrive avant les mots chez moi. J’ai toujours quelque chose en cours avec la musique quand j’écris des textes. Je laisse donc souvent ces désirs de côté. J’aimerais partir sur un autre type de format. Jana DeLeon disait dans une interview qu’un roman devrait pouvoir se lire en une soirée. Ça me parle. S’asseoir pendant trois ou quatre heures, ça a plus de sens pour moi que de manger un pavé. Je lis des tonnes de trucs. Il y a ce mec, James Lee Burke. Il écrit des histoires de détective. Puis les courts romans et les nouvelles de Barry Hannah, un écrivain du sud des Etats-Unis. Chaque fois que je lis un bouquin de quelqu’un d’autre, je me dis que je devrais être en train de dévorer du Barry Hannah.

Pourquoi avoir sorti un maxi avec des versions dubs de plusieurs nouveaux morceaux?

C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire et je trouvais que l’instrumentation sur ce disque s’y prêtait, contrairement à Apocalypse où pareille tentative me semblait nettement plus périlleuse. J’aime le dub, le plus beau des styles musicaux. Beaucoup de gens ne le comprennent pas. Souvent quand tu mets un disque de dub, ils filent dans la pièce d’à côté. J’aime Trojan, King Tubby, Lee Perry. Mais aussi Augustus Pablo. C’est hors du monde et mystique. Terrestre, roots et à la fois céleste. Parfois j’ai l’impression que la basse et la batterie sont la terre et que tous les autres sons représentent le ciel et les étoiles. J’écoute autant de musique que je lis de livres. Ces derniers temps, je suis surtout sur Hugh Mundell, un reggaeman des années 70. Il avait une voix fort douce et angélique. Surtout quand il avait 16 ans. Comme beaucoup d’artistes jamaïcains, il est mort très jeune. Il a été abattu à seulement 21 balais. Il n’a enregistré qu’une poignée d’albums. Un destin tragique.

LE 11/02/2014 À L’AB. LIRE LA CRITIQUE DE DREAM RIVER PAGE 37.

ENTRETIEN Julien Broquet

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