ENTRE DÉRISION ET SINCÉRITÉ, ELLE LIVRE SANS FAUSSE PUDEUR LE PORTRAIT RICHE ET NUANCÉ D’UNE FEMME MODERNE DANS LE MORDANT VICTORIA.

Justine Triet n’est pas arrivée au cinéma par les chemins habituels: « Je ne me suis jamais sentie à ma place là où j’étais. J’ai toujours cherché des chemins de traverse. À l’école des Beaux-Arts, j’étais censée faire de la peinture, mais j’ai appris le montage, j’ai fait des clips, des vidéos. J’ai découvert la liberté de l’art contemporain mais je me suis fortement embêtée dans ce milieu! Alors je suis partie faire du documentaire et c’est finalement mon producteur Emmanuel Chaumet qui m’a dit que je pourrais faire des films de fiction comme je tournais mes documentaires. Du coup j’ai une expérience particulière parce que je ne connais pas certaines bases de la mise en scène (les règles d’axes par exemple) mais plus j’avance plus j’ai un désir de contrainte, de travailler de façon plus cadrée. Des Beaux-Arts, il doit me rester la façon d’envisager de filmer quelqu’un, l’attention pour les visages. »

Sa première aventure dans la fiction fut le succès critique La Bataille De Solférino (2013), récit d’une crise conjugale et collective qui partage plusieurs thèmes avec Victoria (lire la critique page 35), mais dans une approche beaucoup plus réaliste et expérimentale. « Le tournage de La Bataille fut assez éprouvant physiquement, c’était intense et dans des conditions disons « rock’n’roll », avec beaucoup de scènes très violentes. J’ai très longtemps eu l’idée qu’il fallait travailler dans la souffrance, j’étais dans ce cliché de l’artiste qui souffre. Sur Victoria, par contre, dès l’écriture une joie communicative s’est installée. On pouvait se bousculer sans que ça passe par un rapport violent. Évidemment on avait aussi plus de budget, quatre fois plus, et l’argent c’est du temps. Du temps pour tourner, mais aussi préparer, choisir les décors, les couleurs… Avoir eu du temps m’a apaisée.« L’ex-documentariste opte alors pour un tournage majoritairement en studio, où est reconstitué avec soin l’appartement moderne mais trop petit d’une tour d’immeuble. « J’ai une obsession pour le treizième arrondissement, que j’aime beaucoup, et une aversion pour l’architecture haussmannienne. Je crois qu’on a été saturés de films parisiens qui se situent dans ces immeubles et moi j’ai le goût des intérieurs qui peut-être sont plus neutres, glacent moins le film dans une certaine tradition française. » Effectivement les influences les plus évidentes seraient plutôt celles de Billy Wilder ou Blake Edwards, un petit côté provoc’ très contemporain en plus.

Une affaire de coeur

Le résultat demeure cependant « un film plus classique dans la forme et la structure« que son premier opus. « Mais le genre de la comédie me permet en même temps d’être plus dure dans ce que je raconte. J’ai l’impression que je n’aurais pas pu faire direaux personnages des choses aussi cruelles dans un film plus réaliste. Ils parlent toujours d’argent, de statut social, ils négocient leurs relations en permanence. C’est d’une violence inouïe dans les rapports amicaux comme sexuels. Ce n’est pas de la comédie romantique douçâtre et gentille. J’utilise ces codes mais je ne présente pas des schémas normatifs. »

Et en effet, de son meilleur ami abusé mais irrémédiablement amoureux que doit défendre Victoria (Virginie Efira), à la romance que cette avocate mère célibataire noue avec son jeune baby-sitter, Justine Triet n’a pas peur de bousculer les clichés. Il y a donc une certaine irrévérence dans son film. Mais aussi beaucoup de coeur. « Je ne voulais pas me censurer sur une espèce de candeur, de grâce. C’est ce mélange de premier degré et de cynisme qui me plaît. On a réussi sur ce film à se sentir libre et je le dois beaucoup à Virginie car elle n’a pas peur du ridicule, elle fonce. Si on se plante c’est pas grave, on ne le gardera pas mais au moins on a essayé. Quand Vincent Lacoste lui dit « T’es belle » pendant qu’il font l’amour, sur papier c’est quand même risqué! La première fois qu’il l’a fait on a explosé de rire, mais finalement on l’a eu ce moment. »

La réalisatrice fait ici référence à une scène très importante dans le développement du personnage principal, mais aussi dans celui du ton du film. Une scène pudique mais très érotique, sensuelle. « C’est un film très bavard et je tenais beaucoup à ce qu’on ne voie pas grand-chose du sexe. Du coup pour « la » scène d’amour il fallait justement que ce personnage se taise et que quelque chose se passe au premier degré. C’est pas facile de filmer le sexe, de trouver le vrai. Dans une comédie pure, on verrait les gens faire l’amour très violemment, comme un gag. Ici je voulais qu’on y croie, qu’on se dise que ces deux personnes, d’un coup, avaient une connexion à cet instant. »

Virginie Efira renchérit en décrivant le degré d’implication de sa réalisatrice: »Dans la scène d’amour avec Vincent, Justine était comme avec nous, presque déshabillée d’ailleurs, on avait l’impression d’être à trois dans le lit. Il n’y avait pas besoin de trop chorégraphier. Il nous a fallu une journée entière pour parvenir à capturer ces petits moments authentiques, que je trouve assez bien choisis dans le film.« Une obsession du détail, du moment juste, qui, entre deux francs éclats de rire, sort effectivement Victoria, le film comme la femme, du lot.

RENCONTRE Matthieu Reynaert, À Cannes

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