Un webdoc remarquable fait bourdonner la Toile. L’ébauche d’une réponse à ceux qui opposent journalisme de qualité et Internet?

Le journalisme a enfin compris la plus grande vertu du Web 2.0. Pas l’interactivité consistant à récolter du clic (et donc, des annonceurs) en ouvrant à la fin d’un papier un espace dédié aux cornichonneries de râleurs congénitaux en quête de défoulement. Mais l’interactivité qui donne le choix à l’internaute de naviguer selon ses envies et ses besoins. Elle a mis le temps, mais la presse a enfin mis au point un nouveau modèle, qui la sauvera peut-être. Celui-ci est à la fois écrit, filmé, photographié et parlé. Il s’appelle webdocumentaire, et il ouvre des possibilités infinies. Son illustration la plus aboutie: Prison Valley, coproduit par la société Upian et Arte. Un résultat bluffant, qui utilise toutes les potentialités d’Internet, et déjoue les frustrations de l’élagage propre aux très courts formats télé. Une investigation à l’ancienne (celle qui demande du temps et des moyens) adaptée aux moyens de communication modernes.

Tirer les rideaux

Le photographe Philippe Brault et le journaliste David Dufresne proposent ainsi un road trip dans l’Amérique sécuritaire. Un voyage au Colorado, avec, comme clou du spectacle, Cañon City. Un trou perdu, 16 000 âmes à peine, mais des résidents de marque. Zacarias Moussaoui, Theodore Kaczynski, et Terry Nichols, pour ne citer que les plus illustres d’entre eux. Des terroristes, des criminels, des truands dangereux, comme 16 % de la population locale. En fait, avec 13 pénitenciers sur son territoire, Cañon City est une incroyable ville-prison. La bonne nouvelle pour elle, c’est que l’industrie pénitentiaire connaît d’autant moins la crise que le reste du monde la subit de plein fouet. Toute l’économie locale est orientée enfermement, du musée du coin aux restos en passant par les motels accueillant les familles des prisonniers en visite. D’ailleurs, c’est dans un de ces établissements d’autoroute miteux qu’il est proposé au spectateur de prendre des forces avant d’aborder le prochain virage. Regarder les infos? Il suffit de cliquer sur la télé de la chambre. Contempler le morne paysage? Il faut tirer les rideaux. Consulter de la documentation? ça tombe bien, il y en a plein sur le lit. Ou alors poursuivre le périple. Et rencontrer des militants, des journalistes, des gardiens et des femmes de détenus. Il y a le choix: leur parler 2 minutes ou entendre toute leur histoire. Et le trip évolue en arborescence, au gré des hyperliens, jusqu’à saisir la globalité de ce documentaire composite superbement écrit, faisant la part belle à une photographie pudique et à des témoignages édifiants. L’unique limite du concept? Il faut que le sujet soit sacrément passionnant pour que l’internaute prenne la peine de le triturer, de le malaxer comme il l’entend, de se laisser entraîner dans ses méandres au lieu de l’engloutir passivement. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose? Le journalisme gonzo n’est pas mort. Il s’est évadé du confort dans lequel il s’était enfermé. l

u http://prisonvalley.arte.tv/fr/

DE myriam leroy

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