Jeux d’ombres et de lumière

Oeke Hoogendijk signe avec Mijn Rembrandt une passionnante et captivante exploration du monde de l’art.

Ses premiers films documentaires furent consacrés à sa mère juive rescapée de la Shoah, et plus largement à l’oeuvre de mémoire historique et humaine autour du génocide nazi, de la survie, de la résilience ( Een Gelukkige Tijd et The Holocaust Experience). L’art prit ensuite le relais avec surtout un travail aussi ambitieux que marquant sur un des plus importants musées d’Europe: Het Nieuwe Rijksmuseum. Rembrandt, qui habitait dans le quartier juif d’Amsterdam et illumine son principal musée de sa monumentale Ronde de nuit, ne pouvait qu’occuper un jour pleinement les pensées d’Oeke Hoogendijk! L’immense peintre du Gouden Eeuw (le XVIIe siècle) lui inspire aujourd’hui un maître film, un documentaire si captivant qu’il en prend par moments des allures de suspense hitchcockien. C’est dans un bon français que la réalisatrice commente pour nous ce Mijn Rembrandt dont elle a voulu faire  » un thriller épique sur l’art » ( voir la critique page 34). Tournant le dos aux priorités « éducatives » qui sont le plus souvent celles du film sur l’art, Hoogendijk s’est piquée de  » donner des airs de fiction à un documentaire où pourtant tout est réel, authentique« . Et ce en usant largement du montage pour donner au film cette dimension que la langue néerlandaise définit comme  » spannend » et qu’on peut traduire en français par « palpitant ».

Jeux d'ombres et de lumière

« Des gens que j’aime bien »

Si le pari fonctionne au-delà même sans doute des espoirs de son auteure, c’est sans aucun doute par la forte présence de vrais personnages, particulièrement hauts en couleur.  » J’ai choisi des gens que j’aime bien« , dit Oeke Hoogendijk en évoquant Ernst van de Wetering (sans doute le meilleur expert actuel de Rembrandt), Thomas Kaplan (homme d’affaires, philanthrope et collectionneur), le duc écossais de Buccleuch (propriétaire d’un tableau sublime) et Éric de Rotschild (vendeur de ses deux tableaux de Rembrandt), aussi et peut-être surtout Jan Six (marchand et fils de marchand, héritier d’une lignée de vendeurs de tableaux remontant au XVIIe siècle).  » J’ignorais que parmi les nombreux fils narratifs, celui de Jan allait devenir le plus captivant, explique la réalisatrice en évoquant à demi-mot le « scandale » dans lequel le jeune homme ambitieux va se retrouver impliqué de très médiatique façon, un élément qui confère un suspense inespéré à la dernière partie du film. Jan a été formidable, car il aurait pu dire stop, cesser d’accepter d’être suivi et filmé, mais il ne l’a pas fait. » On devine la tendresse d’Hoogendijk pour ce garçon qui veut à tout prix se montrer digne de ses aïeux, de ses prédécesseurs dont un père qu’il espère égaler et même plus en découvrant un Rembrandt inconnu, dont l’attribution officielle au maître devient un enjeu majeur et met en émoi le monde des spécialistes et propriétaires,  » un tout petit monde où tout le monde se connaît« . La cinéaste ne masque pas non plus sa sympathie pour le duc de Buccleuch, qui cherche dans son château un nouvel emplacement pour son Rembrandt afin de pouvoir ensuite  » s’installer près de lui pour lire un bon livre« .  » Il y avait au départ plusieurs ducs, dont celui du Devonshire, en Angleterre, qui possède non pas un mais deux Rembrandt! Mais c’est Buccleuch qui avait Vieille femme lisant , à mes yeux le plus beau de tous les tableaux de Rembrandt et celui qui me procure la plus grande émotion… »

Plus qu'un documentaire, Mijn Rembrandt est un film au suspense hitchcockien.
Plus qu’un documentaire, Mijn Rembrandt est un film au suspense hitchcockien.

Capter l’âme

 » S’il me fallait définir ce qui rend à mes yeux Rembrandt absolument unique, je dirais que sa façon de peindre ses personnages est révolutionnaire pour l’époque. Il sait caractériser les personnes, il ne les fait pas plus beaux qu’ils sont, alors que ces gens qui posaient, qui avaient commandé leur portrait, étaient en général flattés par les autres peintres. Rembrandt réussit à capter l’âme de ses modèles. Quand j’ai visité l’exposition de 2005, j’ai pleuré tellement mon émotion était grande. Comment ne pas être profondément touchée par la présence de ces gens sur les tableaux? Car ils sont là! C’est le miracle intime qu’accomplit Rembrandt. »

Jeux d'ombres et de lumière

La cinéaste néerlandaise a intitulé son film Mijn Rembrandt (« Mon Rembrandt »), mais on se dit qu’au bout du compte, il pourrait s’appeler Onze Rembrandt (« Notre Rembrandt ») tant l’émotion du visiteur de musée… et celle du spectateur du film, peuvent rejoindre celle des spécialistes, des marchands, des collectionneurs. Le film permet de ressentir cette chose diffuse mais en même temps palpable que chacun peut percevoir, partager. Même si quelques-uns seulement peuvent bien sûr convoiter le plaisir de posséder un tableau…  » Lorsqu’une oeuvre inconnue de Rembrandt est découverte, elle est forcément scrutée par tous les experts et suscite le doute sur sa paternité, déclare la réalisatrice. Un Vermeer, c’est un Vermeer, de manière évidente. Pas de question. Mais c’est très différent pour Rembrandt, qui a eu de nombreux élèves, un atelier très productif. Parfois il demandait à un de ses étudiants de finir un tableau, parfois il n’apportait lui-même qu’une petite touche, ou même aucune… La valeur d’un tableau peut s’en retrouver dès lors énormément dépréciée, même si on peut continuer à discuter parce qu’aucun d’entre nous n’était présent dans l’atelier au moment même (rires). »

Oeke Hoogendijk n’abandonnera pas Rembrandt puisque son prochain documentaire s’attachera au long et délicat travail de restauration de La Ronde de nuit, le tableau le plus emblématique de l’immense artiste.

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