Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

SUR SON PREMIER ALBUM, PETITE NOIR PASSE SON TEMPS À FAIRE L’ALLER-RETOUR ENTRE SOWETO ET MANCHESTER, RYTHMES AFROS ET RIGIDITÉS NEW WAVE. TRIPANT.

Petite Noir

« La vie est belle/Life Is Beautiful »

DISTRIBUÉ PAR DOMINO. EN CONCERT LE 22/09, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

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D’abord, une petite séquence cinéma. Avant d’être le titre du premier album de Petite Noir, La vie est belle renvoie d’abord à la fameuse comédie belgo-congolaise du même nom, sortie en 1987. L’intrigue y était sommaire: l’histoire d’un jeune musicien, joué par la star Papa Wemba, montant à la ville pour y trouver la gloire (et l’amour). On est toujours sous le régime Mobutu, dans un pays rebaptisé Zaïre: face aux signes de déglingue générale qui s’accumulent, l’insouciance bonhomme est encore « crédible »…

Est-ce une éventuelle nostalgie -même d’une période qu’il n’a pas vécue- qui a poussé Petite Noir, alias Yannick Ilunga, à reprendre le titre du film pour son disque? A moins qu’il ne s’agisse de renvoyer à sa bizarrerie: celle d’un objet cinématographique un poil farfelu, réalisé à quatre mains par feu Benoît Lamy (un Belge) et Ngangura Mwezé (un Congolais)?… Qui a fait quoi? Quelle est la touche européenne? Jusqu’à quel point l’objet est-il africain? Le genre de questions que l’on poserait volontiers à Petite Noir pour décrypter sa musique…

Yannick Ilunga est né à Bruxelles en 1990, d’une mère angolaise et d’un père congolais. Après avoir passé les six premières années de sa vie au Congo, il quitte le pays avec sa famille pour fuir/s’installer en Afrique du Sud. Ado, il écoute autant la musique congolaise des parents que du rock, du hip-hop, du R’n’B, avant de tomber finalement dans l’électronique. Aujourd’hui, pour évoquer sa musique, il parle volontiers de « noirwave ». Ce qu’on pourrait prendre pour de la coquetterie, si le terme ne s’avérait à ce point judicieux et pertinent…

Il y a en effet un petit air de new wave dans La vie est belle. Une raideur, voire une certaine froideur, combinée à des rythmiques afros. Un peu comme si Fela avait fait un tour du côté de la Factory de Manchester. Ce qui est un assez juste retour des choses: dans les années 80, des groupes comme A Certain Ratio, Talking Heads ou ESG lorgnaient allègrement du côté de l’Afrique. Pour prendre des groupes plus récents, ce sont des noms comme TV on the Radio ou les Young Fathers qui reviennent le plus souvent à l’esprit. Soit des formations qui brouillent l’idée que l’on peut se faire d’un groupe ou d’une musique « noire ». A la fois sentimentale et distante, intime et politique (Freedom), la noirwave de Petite Noir participe ainsi à une autre idée de la pop africaine. Une musique qui utiliserait le langage universel de l’électronique pour raconter ses racines.

A cet égard, il faut encore noter la présence de Baloji sur le morceau-titre de l’album. Le rappeur belgo-congolais s’apprête lui-même à sortir un nouvel EP, cinq ans après son album Kinshasa Succursale. Il s’intitule 64 Bits and Malachite -la malachite, comme la pierre couleur émeraude qui sert d’autel sur la pochette de La vie est belle. Petite Noir se retrouve d’ailleurs lui-même sur l’un des nouveaux morceaux de Baloji (Capture). Là aussi, il s’agit de raconter l’Afrique en dehors des clichés et des schémas (post)coloniaux. De raconter avant tout sa modernité, d’imaginer son futur. Sur l’album de Petite Noir, Baloji souffle ainsi: « On l’a échappé belle », mais c’est bien « l’échappée belle », que l’on entend…

LAURENT HOEBRECHTS

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