FORMIDABLE INTERPRÈTE DE L’ENVAHISSEUR, ISSAKA SAWADOGO A TROUVÉ DANS SA PROPRE TRAJECTOIRE D’AFRICAIN EN EUROPE DES ÉCHOS À SON PERSONNAGE D’IMMIGRÉ CLANDESTIN.

On l’avait déjà vu, impressionnant de présence, dans Si le vent soulève les sables de Marion Hänsel. Issaka Sawadogo brille d’une intensité singulière, douloureuse, dans un nouveau rôle marquant, celui d’Amadou dans L’Envahisseur d’un autre cinéaste belge, Nicolas Provost. Le comédien né au Burkina Faso se partage entre l’Afrique et l’Europe, la Norvège surtout, dont le Théâtre National d’Oslo a fait de lui son conseiller culturel. Egalement danseur, conteur, musicien et metteur en scène, Sawadogo a puisé dans sa propre expérience d’Africain en Europe (même privilégié, en tant qu’artiste) pour nourrir son personnage d’immigré clandestin, s’inventant à Bruxelles une vie d’illusion pour nier une réalité sordide.

Vous jouez le personnage d’Amadou dans L’Envahisseur avec une grande retenue. Comme si ce qu’il n’exprimait pas était aussi important -si pas plus- que ce qu’il exprime…

Dans la vie, on ne peut pas tout exprimer. Ce qu’on retient à l’intérieur compte énormément. Les artistes ont vocation de comprimer les choses, de créer des questionnements. C’est à chaque spectateur de chercher sa ou ses réponses, peut-être aussi de changer son comportement, suite à cette réflexion… L’Envahisseur montre que quand un être humain est bousculé, pressuré, rabaissé par un système social, il peut en perdre ses repères, devenir comme un animal, ne plus réfléchir avant d’agir. Amadou ne peut vivre que dans le présent absolu. Il s’adapte, tant bien que mal, à tout ce qui s’impose à lui. En essayant de survivre, lui dont la disparition ne serait même pas remarquée, tant il n’est rien, au fond, dans la ville où il erre, clandestin, sans papier, sans droit… Il est obligé de mentir, obligé de tricher. Tout le monde ment, tout le monde triche, mais lui n’a plus le choix s’il veut survivre! Pour avoir une éthique, il faut d’abord avoir une place dans la société, sinon un travail. Lui, non seulement il n’a pas de papier, mais on lui dit que de ce fait, on va pouvoir abuser de lui comme on veut, sans qu’il ait le moindre recours. Et au besoin le supprimer. Car de la non-existence sociale à la non-existence physique, il n’y a qu’un pas…

L’action du film se passe à Bruxelles, mais sa portée est universelle…

L’histoire de L’Envahisseur pourrait se dérouler partout dans le monde. Même en Afrique, où des populations déplacées connaissent le rejet et l’exploitation par leurs propres frères et s£urs. Cette situation déplorable se multiplie où que l’on tourne son regard. C’est un jeu très dangereux auquel se livre l’humanité!

Avez-vous pu puiser, pour le rôle, dans votre propre expérience d’étranger en Europe. Même si la situation d’un artiste est forcément différente?

Je ne suis pas venu en Europe (en France, la première fois) en tant qu’émigré fuyant son pays, à la recherche du bonheur. J’étais invité avec la troupe de théâtre dont je faisais partie au Burkina, pour faire des animations dans des écoles. On travaillait, on était intégrés dans le milieu scolaire, les enfants ne manifestant aucun des préjugés qu’ont tant d’adultes. Mais plus tard, quand je suis revenu avec un spectacle et qu’on m’a demandé de rester, cette fois en Norvège, j’ai vu venir vers moi plein d’Africains vivant dans ce pays et qui voyaient ma présence en tant qu’acteur comme un espoir. Parce qu’eux ressentaient une pression liée à leur origine, dans une société où une place à part est réservée à l’étranger, à l’Africain plus particulièrement. J’ai aussi commencé, hors du théâtre, dans la vie de tous les jours, à rencontrer le racisme et son cortège d’humiliations. Et comme l' »envahisseur » du film, je ne me laissais pas faire. Je disais leur fait aux gens qui m’agressaient. Et d’autres gens, semblables à eux par la couleur de la peau, étaient d’accord avec moi. Même s’ils n’osaient pas toujours le dire au moment même ( rire)…

Par son titre, déjà, le film de Nicolas Provost veut dépasser la désignation de l’étranger comme victime…

C’est une chose importante. Amadou est un antihéros, avant de devenir un héros. Opprimé, il ne reste pas passif. Il faut réaliser que parmi tous ces jeunes que je vois quand je retourne en Afrique, et qui presque tous disent vouloir émigrer, beaucoup ne feront pas le voyage pour rester des victimes. Si l’on ne comprend pas ça, les choses prendront un tour tragique… l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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