AVEC L’AUTEUR DE TAXI, LE FESTIVAL DE BERLIN A RÉCOMPENSÉ UN RÉALISATEUR INTERDIT DE TOURNER DEPUIS CINQ ANS DÉSORMAIS…

C’est là un cas de figure inédit: Ours d’or de la dernière Berlinale, Jafar Panahi est en effet interdit de tournage depuis cinq ans déjà par les autorités iraniennes, qui l’avaient arrêté alors qu’il préparait un film sur les manifestations s’opposant à la réélection contestée du président Ahmadinejad. Des circonstances dramatiques qui n’ont pas empêché le cinéaste de se montrer plus créatif que jamais, les atteintes portées à sa liberté lui inspirant coup sur coup Ceci n’est pas un film et Close Curtain avant, aujourd’hui, ce formidable Taxi. Car si l’on verra bien évidemment dans cette récompense un geste symbolique et politique, il y a là également l’aboutissement d’une démarche artistique audacieuse autant que cohérente.

Découvert en 1995 avec Le Ballon blanc, Caméra d’or à Cannes, Panahi est, aux côtés d’Abbas Kiarostami, le grand artisan de la nouvelle vague du cinéma persan. A l’approche métaphorique de ses premiers films en succède rapidement une autre, plus frontale, à l’oeuvre dès Le Cercle, Lion d’or à Venise en 2000; un film âpre et courageux embrassant, à visage découvert, la condition des femmes en Iran. « Quand je commence un film, il n’y a que ma conscience qui importe: je veux être en accord avec elle, l’essentiel est que je reste sincère », nous confiait le réalisateur à l’époque, suivant une ligne dont il n’allait plus dévier. Et de livrer la peinture imagée mais acérée de la vie en Iran, envisagée à hauteur d’homme (ou de femme), qu’il évoque le sort d’un modeste livreur de pizzas confronté aux inégalités de la société (Sang et or) ou qu’il suive des jeunes femmes tentant d’assister à un match de football en dépit de l’interdit (le formidable Hors jeu). Sans surprise, ses démêlés avec le pouvoir iront croissant, jusqu’à la privation de libertés le frappant en 2010.

Tournés dans la clandestinité, Ceci n’est pas un film et Close Curtain témoignaient de la condition d’un réalisateur alors assigné à résidence. Taxi élargit sensiblement le spectre, et le voit arpenter les rues de Téhéran au volant d’un taxi à bord duquel montent des personnages souvent hauts en couleur, filmés à l’aide d’un dispositif aussi minimaliste qu’ingénieux. En résulte un film fascinant, portrait de la ville et de la société iranienne, en même temps qu’autofiction où Panahi revisite avec bonheur sa filmographie, tout en se jouant avec malice des interdits -ainsi d’une scène mémorable où une fillette cite les règles absurdes édictées par les autorités islamiques en matière de cinéma, cahier des charges dont le film prend systématiquement le contre-pied, suivant un principe hautement jubilatoire. Soit, en définitive, une oeuvre de contrebande, un acte de résistance et un magnifique moment de cinéma qui, à l’inverse des plus récents opus de Panahi, bénéficiera par ailleurs d’une distribution en Belgique…

J.F. PL.

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