ALEKSEI FEDORCHENKO NOUS FAIT VOYAGER DANS L’ESPACE, LE TEMPS ET LA CULTURE, AVEC SON SUBLIME ET CAPTIVANT SILENT SOULS.

Le cinéma est de ces arts qui peuvent nous faire quitter le quotidien pour l’extraordinaire, sans forcément devoir recourir aux effets spéciaux ou aux formules du film de genre à l’américaine. Plus d’un réalisateur russe nous l’a déjà prouvé. Un Andrei Tarkovski, ou plus récemment un Alexandre Sokourov, y sont parvenus avec une belle éloquence. Aleksei Fedorchenko semble être de la même trempe à la fois clairement poétique mais également ancrée, de la plus organique manière, dans la vérité intime de l’époque et des êtres. L’homme tout habillé de blanc, aux longs cheveux blonds, à l’embonpoint porté jovialement et au regard pétillant d’humour, est l’auteur avec Silent Souls de la première perle offerte aux cinéphiles en ce début d’année. L’idée de ce road movie où 2 hommes emmènent le cadavre de la femme d’un d’entre eux vers un lac lointain où doit se dérouler un rite funéraire ancestral, Fedorchenko s’en est vu souffler l’idée par Denis Osokin, un écrivain de Kazan, sur la Volga, qui est devenu son ami et son scénariste attitré.  » Il a l’art d’écrire des histoires qui peuvent paraître fort simples, mais qui nous emmènent dans un univers particulier qui peut l’être beaucoup moins« , explique le réalisateur, qui décrit Silent Souls comme « une espèce de conte de fées qui, malgré le fait que les paysages y sont intégrés de manière réaliste, nous invite dans un monde qui n’existe en fait pas dans la Russie d’aujourd’hui. Tout y est inventé, tout y est faux, même si tout y a l’air réel et vrai… »

Vérités ou mensonges

Aleksei Fedorchenko connaît bien les confins du mensonge et de la vérité, lui qui s’est fait connaître voici 5 ans avec un documentaire relatant l’expédition de cosmonautes soviétiques vers la Lune en… 1938! Primé dans plusieurs festivals, First On The Moon établissait de manière irréfutable… et pourtant totalement fantaisiste que les Russes avaient largement devancé le rival américain dans la course à la conquête de l’espace. Un tour de force si réussi qu’on peut se demander aujourd’hui si les Méria, le peuple éteint dont la culture et les rituels sont évoqués dans Silent Souls, ont réellement existé, ou s’ils sont directement issus de l’imagination du cinéaste et de son complice Denis Osokin… Rechercher leur trace sur Internet mène vite à une impasse, mais Fedorchenko n’en affirme pas moins que le peuple finno-ougrien (originaire de Finlande et de Hongrie) a bel et bien vécu en Moyenne-Volga avant d’être assimilé par les Russes durant le XVIe siècle…

 » Ce qui est imaginé, clame le réalisateur, c’est ce que pourraient penser et faire les descendants des Méria dans la Russie contemporaine, ce que pourrait être leur version des rites ancestraux depuis longtemps oubliés. Un travail de mémoire, bien plus qu’un travail d’invention! » Et une affirmation dont la véracité ou l’effronterie ne changeraient rien au pouvoir captivant d’un récit en tout point remarquable et singulier.

« Silent Souls possède une tristesse, une mélancolie, qui n’exclut pas la sensualité », poursuit Aleksei Fedorchenko, dont la manière de filmer les femmes et l’amour est d’un érotisme rayonnant. « La métaphore essentielle du film est que la Femme est une rivière, que c’est ainsi que l’Homme la voit dans sa vie« , révèle le cinéaste, qui porte sur les scènes érotiques un regard  » voulant faire de la beauté des rapports sexuels quelque chose de plus important que le sexe en lui-même.  » La nature explicite de certaines images a valu au film d’être réservé, en Russie, à un public averti. Mais son réalisateur n’en déclare pas moins que Silent Souls  » peut assurément être montré à de jeunes spectateurs« .  » Je l’ai d’ailleurs projeté à ma fille de 9 ans et elle n’y a rien vu de choquant! Elle a vu de l’amour, de la beauté, pas du sexe… « , précise Fedorchenko.

 » A la différence des Méria, je ne pense pas que l’amour puisse survivre à la mort. Je suis athée, je pense que rien ne dure après la mort, conclut le cinéaste russe. Mais j’aime la vision qu’ils ont de la vie, de l’amour. Une vision très pure, apaisante, repoussant les conflits plutôt que de les créer par frustration, jalousie et autre rivalité.  » Des paroles de douceur, pour un artiste dont le film touche autant qu’il émerveille.

TEXTE LOUIS DANVERS

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