Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

DEPUIS LA SORTIE D’INLAND EMPIRE, IL EST DE BON TON DE DIRE QUE DAVID LYNCH S’ÉPARPILLE. À LA LUEUR DE CE PONCIF, SMALL STORIES SERAIT SANS INTÉRÊT. PAS D’ACCORD.

Small Stories

DAVID LYNCH, MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE, 5/7, RUE DE FOURCY, À 75 004 PARIS. JUSQU’AU 16/03.

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Il n’y a pas loin du Capitole journalistique à la roche Tarpéienne médiatique. Hier encore, David Lynch était un réalisateur génial à qui l’on devait de grands films –Eraserhead, Elephant Man, Mulholland Drive…- et une série culte –Twin Peaks. Aujourd’hui, à 68 ans, si l’on en croit le concert des critiques, il serait devenu un paralytique de l’inspiration doublé d’un incontinent du projet artistique. D’un côté, la paralysie; de l’autre, le flux. Le tout sur fond de suspicion -larvée- de sénilité plus ou moins précoce. De sa dernière exposition à la Maison Européenne de la Photographie, il convient d’asséner ce genre de commentaire: « On en sort perplexe, déçu, avec une seule envie: se caler devant un bon vieux Sailor et Lula, histoire de rendre à César ce qui est à César. » Le propos est signé Time Out Paris et il résume assez bien le consensus qui s’est bâti. Pourtant, il convient de poser une question: de quelle vision de la chose culturelle relèvent ces désobligeantes remarques? Deux possibilités. Si l’on considère que la culture est un objet de consommation censé tomber dans le bec de tout qui est affalé sur un canapé, alors oui, mieux vaut mater un bon Sailor et Lula, pizzas et potes compris. En revanche, si la culture est envisagée comme un ensemble de signes, souvent à déchiffrer activement, nous permettant de nous réapproprier du sens pour continuer à vivre, alors peut-être qu’il faudrait passer plus de temps devant les images de Lynch. Godard disait: « Réaliser un film et écrire une critique, c’est au fond la même chose avec d’autres moyens. » C’est donc un fameux navet qui se trame en ce moment autour du travail du cinéaste américain…

Camps de base

Puisqu’on en est aux citations, pourquoi ne pas donner la parole à Quentin Tarantino, dont le « (…) chaque film que je tourne, je l’aborde comme l’escalade de l’Everest, et je crois qu’à un certain âge, on ne peut simplement plus atteindre le sommet » résonne tout particulièrement à l’aune de cet épisode. Que Lynch considère, comme tant d’autres, chacun de ses films comme une montagne à escalader, ça ne fait pas un pli. Reste qu’en vieux sage, plutôt qu’en jeune loup, il a appris à ruser. En lieu et place d’une ascension frontale, il biaise. Et il faut considérer Small Stories, ses lithographies ou ses tableaux comme autant de camps de base pour atteindre l’inspiration. Bien sûr, on ne cautionne pas tout: la bouteille dessinée pour Dom Pérignon, le décor du Silencio à Paris, la peinture sur porcelaine… tout cela peut être considéré comme du « divertissement » -rien ne lui interdit d’en avoir- au sens pascalien du terme. Que l’on prenne la peine de se pencher sur ces images exposées à Paris -Lynch en présente une quarantaine spécialement créées pour l’occasion- et l’on verra un formidable réservoir à histoires. Une fois de plus, tout dépend du spectateur… L’univers du réalisateur y est tout entier replié, prêt à bondir comme un diable hors de sa boîte. On retrouve le potentiel d’inquiétante étrangeté -la composante politique en moins- du travail d’un John Heartfield dont les photomontages Dada décomposent la réalité pour mieux la rectifier.

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MICHEL VERLINDEN

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