La galerie Fifty One d’Anvers fête ses 10 ans d’existence en rendant hommage à Serge Gainsbourg. Loin d’un requiem pour un con, l’exposition donne envie de se replonger dans l’intégrale de l’homme à tête de chou.

Créée il y a 10 ans par le photographe Roger Szmulewicz, la galerie Fifty One Fine Art Photography s’est taillé une belle réputation en Belgique et à l’étranger. En une décennie, elle a ouvert ses portes aux plus prestigieuses signatures. Pour marquer le coup, Szmulewicz s’est fait plaisir. En inconditionnel de Gainsbourg, le directeur artistique s’offre une rétrospective dédiée au locataire du 5 bis de la rue de Verneuil. Au programme, une vingtaine de portraits représentant pour la plupart Lucien Ginsburg himself, et signés Tony Frank, William Klein, Lord Snowdon, Jean-Loup Sieff, Helmut Newton, Pierre Terrasson, Xavier Martin… L’occasion de rappeler que Gainsbourg possédait une vraie sensibilité esthétique. Pour preuve, les scénarios des films qu’il a laissés. Ceux-ci étaient truffés d’annotations quasi obsessionnelles quant aux mouvements de caméra ou au choix précis d’une profondeur de champ. Sans parler de ses pochettes d’album pour lesquelles il ne s’entourait que des meilleurs photographes. En plus des portraits, l’exposition fera place à une série d’objets du culte -livres, cd, vinyles, magazines…- soigneusement sélectionnés. Petit avant-goût avec ces 5 images, pour autant de citations piquantes du maître. l

Serge Gainsbourg, Fifty One Fine Art Photography, 20, Zirkstraat, à 2000 Anvers. Du 05/06 au 31/08. www.gallery51.com

L’Alcool

« Mes illusions donnent sur la cour/Des horizons j’en ai pas lourd/Quand j’ai bossé toute la journée/Il ne me reste plus pour rêver/Qu’les fleurs horribles de ma chambre/Mes illusions donnent sur la cour/J’ai mis une croix sur mes amours/Les p’tites pépées pour les toucher/Faut d’abord les allonger/Sinon c’est froid comme en décembre/Quand le soir venu j’m’en reviens du chantier/Après mille peines et le corps harassé/J’ai le regard morne et les mains dégueulasses/De quoi inciter les belles à faire la grimace/Bien sûr y a des filles de joie sur le retour/Celles qui mâchent le chewing-gum pendant l’amour/Mais que trouverais-je dans leur corps meurtri/Sinon qu’indifférence et mélancolie/Dans mes frusques couleur de muraille/Je joue les épouvantails. »

L’Alcool, 1958 (©Chappell/Intersong Music Group).

Premiers Symptômes

« J’ai ressenti les premières atteintes du mal/Sous les sarcasmes de Marilou/Mes oreilles après des mots comme « Vieux con pédale »/Se changèrent en feuille de chou/Aux aurores j’allais au café buraliste/Faire provision de fumigènes/Et je demandais au pompiste/Derrière le zinc le plein de kérosène/Puis traînant mes baskets/Je m’allais enfermer dans les water-closets/Où là je vomissais mon alcool et ma haine/Titubant je m’en revenais/Et les petits enfants riaient/De mes oreilles en chou-fleur/J’avais pris peu à peu la tronche d’un boxeur. »

Premiers Symptômes, 1976 (© Melody Nelson Publishing).

Extrait de Evguénie Sokolov

« J’acquis ainsi la réputation d’un séducteur inconstant, désinvolte et cynique, mais las d’£uvrer sur des partenaires moyennement réceptifs à mes soins, ou atteints d’anaphrodisie sodomique, Evguénie, pas par là, salaud, j’en vins à trouver plus de satisfaction auprès des call-girls et boys qui s’inquiétaient de mon plaisir sans que j’eusse à me préoccuper du leur, poules grasses et gitons imberbes que je prenais parfois en groupe par un besoin, ma sensibilité s’étant vite émoussée, de caresses de mains aux doigts surnuméraires. »

Extrait de Evguénie Sokolov, Gallimard, 1980.

Extrait de Bambou et les Poupées

« Mardi quatorze heures quinze. Premiers symptômes de photophobie. Recherche de clairs-obscurs et de contre-jours. Abuse de Bambou comme un légionnaire au Tonkin. Elle pleure jaune et riz blanc. Ma petite princesse de Chine s’enroule dans les spirales du lit, £il et entrejambe en amande. Nice girl. À la visée reflex, je dois reconnaître que la gamine a un cul de Rolls-Royce. Ne lui manque que la plaque minéralogique citron vert de L.A. Je glisse ma caméra sous le châssis, elle son ongle carmin dans le tuyau d’échappement. Arrêt image. »

Extrait de Bambou et les Poupées, Filipacchi, 1981.

La Recette de l’Amour Fou

« Dans un boudoir introduisez un c£ur bien tendre/Sur canapé laissez s’asseoir et se détendre/Versez une larme de porto/Et puis mettez-vous au piano/Jouez Chopin/Avec dédain/Égrenez vos accords/Et s’il s’endort/Alors là, jetez-le dehors/Le second soir faites revenir ce c£ur bien tendre/Faites mijoter trois bons quarts d’heure à vous attendre/Et s’il n’est pas encore parti/Soyez-en sûr c’est qu’il est cuit/Sans vous trahir/Laissez frémir/Faites attendre encore/Et s’il s’endort/Alors là, jetez-le dehors/Le lendemain il ne tient qu’à vous d’être tendre/Tamisez toutes les lumières et sans attendre/Jouez la farce du grand amour/Dites  » jamais  » dites  » toujours « /Et consommez/Sur canapé/Mais après les transports/Ah! S’il s’endort/Alors là, foutez-le dehors. »

La Recette de l’Amour Fou, 1958 (©Chappell/Intersong Music Group).

Texte Michel Verlinden

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