DANS MAI 67, COLOMBE SCHNECK RESSUSCITE LA JEUNESSE DE BARDOT PAR LA FICTION, À TRAVERS UNE LONGUE LETTRE QUE LUI ADRESSE UN AMANT DE PASSAGE TRANSI. SOIT LE PORTRAIT ESPIÈGLE, SENSUEL ET SOLAIRE DE CELLE QUI FUT UN JOUR LA PLUS BELLE FILLE DU MONDE.

Brigitte Bardot, le mythe éternel, Bardot, la légende, Bardot l’indomptable, Brigitte Bardot, plein la vue, Brigitte Bardot, la femme la plus belle et la plus scandaleuse au monde… Un oeil distrait dans la bibliographie bardotienne suffit à nous en convaincre: les éditeurs ne manquent pas de slogans, mais bien plutôt d’imagination pour évoquer celle qui régna, deux décennies durant, cheveux au vent et bouche entrouverte, sur les écrans de cinéma, les couvertures de Paris Match et les fantasmes du monde. Une monotonie hagiographique que la Française Colombe Schneck vient joliment briser avec Mai 67, un roman solaire librement inspiré de la vie sentimentale de l’égérie B.B. Son mobile? Une liaison, largement fantasmée, que la muse de Vadim, Gainsbourg ou Warhol aurait eue, dix semaines magiques durant, avec un assistant costumier.

Rappel des faits. En 1967, Brigitte Bardot est mariée à Gunter Sachs, un playboy allemand milliardaire -les photographes s’arrachent le couple, et fomentent le mythe à coups d’images ambrées. On le sait désormais: les apparences édéniques cachent un mariage de pacotille. Sachs balade Bardot comme un trophée, se vantant de l’avoir pariée aux cartes, et la plus belle fille du monde, unie à un fantôme, entend bien se consoler ailleurs de cet outrage à l’amour. En 67, elle rejoint Louis Malle et Alain Delon à Rome sur le tournage d’un film à sketches, Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe (co-réalisé avec Vadim et Fellini). Mais loin de Sachs, Malle ou Delon, à l’heure d’évoquer ce printemps 67 dans ses mémoires Initiales B.B. , c’est un amant anonyme que l’égérie évoque: « F., qui a été un pansement pour mon coeur. » Une initiale grise qui sera largement passée inaperçue, jusqu’à ce que Colombe Schneck s’en empare. « Cette mention était très mystérieuse, explique la journaliste française, romancière (Val de Grâce, La Réparation), ex-figure de Nulle Part Ailleurs sur Canal+ et chroniqueuse littéraire sur Inter. Elle a été un de mes points de départ pour la rédaction de Mai 67. Je me suis demandé comment la plus belle fille du monde, qui était désirée par le monde entier, pouvait aimer et être aimée. » Là commence la fiction: Schneck s’approprie l’initiale pour lui coller le profil d’un assistant costumier originaire d’Algérie, un type quelconque mais gentil, qui ne figurera même pas au générique du film.

Villa Médicis

Pour donner chair à son personnage fictif, Schneck a tenu à rencontrer d’anciens amants du sex-symbol, jeunes hommes devenus mûrs. »C’est un peu le hasard qui m’a aidée. J’ai pas mal d’amis à Saint-Tropez, par exemple, et là-bas les gens la connaissent, c’est son village. Donc là, j’ai pu rencontrer des hommes. De même, on m’avait dit que le père d’un copain de copain de copain avait eu une liaison avec Bardot… Ça s’est fait comme ça… Tous des types mignons, charmants, adorables qu’elle a aimés quelques jours, deux semaines ou un mois tout au plus, et qui encore aujourd’hui ne comprennent pas pourquoi elle les a choisis… »

Si la confession s’est faite, elle n’a pas été facile: « Evoquer l’histoire qu’ils avaient eue avec elle, c’était donner quelque chose d’intime et de précieux gardé en eux depuis longtemps. S’ils ont accepté, c’est que l’image de B. B. est tellement dénaturée et terrible aujourd’hui qu’ils avaient presque l’impression qu’il était de leur devoir de rappeler quelle jeune femme adorable et charmante elle avait été. Tous m’ont dit sa bonté, sa générosité. Un des hommes m’a raconté précisément comment elle l’avait séduit. Et c’était comme une scène de film merveilleuse. Je voulais raconter ça! »

L’histoire de Mai 67 prenant Rome pour cadre, Colombe Schneck s’est rendue sur place pour l’écrire, une résidence à la Villa Médicis à la clé. Histoire d’arpenter le Grand Hotel Parco dei Principi, où Bardot a séjourné. Et de chercher dans la Rome d’aujourd’hui la ville d’hier, celle foulée par l’actrice. « Je voulais retrouver la dolce vita des sixties. Je me suis rendue dans les bars, les restaurants… Quand j’écris, j’aime être dans les détails minuscules: découvrir quelles sortes de pâtes on mange à Rome, quel goût ont les tomates, quelle lumière tombe dans ses jardins enchanteurs… »

Va pour le décor, mais comment écrire le monument Bardot, déjà largement étalé, capturé, déformé ailleurs? Comment faire de l’égérie un objet littéraire? « J’ai commencé par essayer de la décrire. J’ai passé énormément de temps à simplement la regarder, sur les photos et dans les films. Sa légèreté et sa façon de marcher, comme si elle était soulevée par des fils. Son visage, la manière dont elle entrouvre sa bouche, et puis ses fesses… Il y a un mystère chez elle, elle possède une forme de perfection fascinante. Si vous regardez B. B. -je veux dire la regarder, vraiment-, elle est inouïe. Quand elle entrait dans une pièce, tout le monde la désirait, instantanément, y compris les femmes. Elle ne vous laissait pas le choix. »

Une question d’affolante beauté, d’occupation de l’espace et de fantaisie, que la romancière diffuse en continu dans une chronique impressionniste, faite d’une accumulation de traits justes et minuscules qui donnent la sensation de voir évoluer Bardot sous nos yeux, sous toutes les coutures. Impression d’autant renforcée qu’elle est entièrement conduite par les yeux d’un amant émerveillé, au gré des moments insignifiants, espiègles, sensuels et charmants d’une liaison: la beauté incendiaire lui écrit des lettres au feutre violet et signe « Bri« , aime le confortable, le rond, le doux, le fleuri, use d’expressions nouvelles comme « chic type« , « rigolo« , « dégoûtant« . Et consomme la mode avec une audace hallucinante: « J’ai beaucoup travaillé sur les vêtements de l’époque, le début du prêt-à-porter, des tissus modernes, synthétiques, des mini-jupes, des t-shirts, et des couleurs… Il y a une révolution, là, qui m’intéresse. Un jour, B.B. est sortie de chez elle avec un costume bermuda Cacharel bleu clair. C’était la première à oser porter ça! Les actrices à l’époque, c’est haute couture, et les femmes, tailleur! »

Je t’aime moi non plus

Un détail qui pour le coup ne l’est pas: les audaces de la mode ne sont que le reflet d’une autre révolte qui couve, plus sociétale et cruciale celle-là. Dans Mai 67, Colombe Schneck rappelle combien l’allure de Bardot, sa silhouette, son corps ont fait scandale. Et combien elle annonça une révolution sexuelle balbutiante, à quelques semaines de l’adoption définitive de la loi Neuwirth -du nom du député gaulliste qui propose la légalisation de la pilule contraceptive. Presque à son corps défendant, Bardot incarne cette libération du désir: elle est une fille qui aime que les gens s’aiment, une amoureuse-née qui aime montrer son désir et coucher avec les garçons, une hippie de luxe qui mène une révolution à elle seule. « Ce que j’aime chez Bardot, c’est que c’est une insoumise, mais désinvolte, qui fait presque sans faire exprès. » A l’aube de la modernité, Bardot l’indomptable scandalise forcément la France bien-pensante. « Elle se fout des règles et de ce qu’on peut penser d’elle, elle fait exactement ce qu’elle veut -c’est une chose qu’on sent tellement dans sa voix par exemple. Et sa liberté -la liberté d’une femme j’entends- fait peur. C’est une chose qu’on m’a beaucoup racontée: quand elle se promène à Saint-Tropez à l’époque, Bardot se fait constamment traiter de salope! Elle crée cette violence-là. »

Une violence que la petite rivale française de Marilyn retourne régulièrement contre elle-même: chronique heureuse et aérienne, Mai 67 esquisse aussi le paradoxe Bardot, celui d’une femme en recherche permanente d’amour, mais qui sabote tout ce qui s’en rapproche -chez elle, les liaisons virent systématiquement à la parenthèse. Une guerre intime dont F., énième homme-kleenex hébété et transi, fera les frais sans comprendre -pas plus que le lecteur, Schneck ne s’aventurant pas davantage à expliquer un mystère d’autant plus mythologique qu’il est celui d’une femme entièrement repliée sur ses souvenirs depuis près de 40 ans. « Je lui ai envoyé le livre, bien sûr. Je n’ai pas reçu de réponse jusqu’à présent. Mais j’espère que, si elle le lit, il lui fera du bien. C’est ce que j’aimerais: qu’elle trouve son portrait juste, qu’elle se reconnaisse, et qu’elle se sente aimée. »

Dans Mai 67, F. évoque, envoûté, l’odeur de la lotion, légèrement mentholée, dont Bardot enduit ses jambes après la plage. Une odeur qui le hante encore 30 ans après -et qui traverse le roman entier: un léger sillage d’après-soleil, et quelque chose qui ressemble au bonheur de l’été, sur la plage abandonnée.

MAI 67, DE COLOMBE SCHNECK, ÉDITIONS ROBERT LAFFONT, 270 PAGES.

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