Deux milles groupes, 80 salles de concerts. Le 24e South By Southwest a vécu. Plongée, en apnée, dans le plus grand festival indé du monde.

Welcome to Austin. Live music capital of the world.  » A l’aéroport, les apparences n’ont rien de trompeuses. Des hippies et des freaks par dizaines attendent leurs instruments. Des guitares géantes customisées trônent au-dessus des flight cases qui défilent sur les tapis roulants. Plus que jamais, le temps de South By Southwest Music (le festival possède aussi un volet cinéma et nouvelles technologies), l’îlot démocrate texan « is the only place to be » pour le « music business » et les « bands » qui « wanna make it ».

 » Austin, Live music capital of the world« , c’est plus qu’un slogan. C’est une volonté politique. Un levier économique qui se traduit par des millions de dollars sur les comptes en banque d’une ville universitaire devenue un important centre technologique aux States. C’est à Austin, haut lieu de la country et du rock, que Willie Nelson et Janis Joplin ont fait leurs débuts. A Austin encore qu’on compte le plus de salles de concerts par habitant. Plus qu’à Nashville, Memphis, L.A. ou New York.

Dans le même ordre d’idée, vitrine progressiste du Texas, supermarché de la musique indé, South By Southwest (SXSW) est en termes de programmation le plus grand festival du monde. 2000 groupes en 4 jours. 80 clubs officiels. Souvent pas bien grands. Un rendez-vous de professionnels qui font du lobbying, de la prospection, des emplettes, du speed dating. Une grande convention du vinyle. Une expo de posters. Des tas de conférences. Puis une énorme fête. Populaire et rock’n’roll. Une espèce de croisement entre Dour et le Doudou. Les Ardentes et le 15 août. Un fameux bordel en somme, renforcé par la Saint Patrick et le Spring Break. Un énorme cirque où les rockeurs, folkeurs, DJ et rappeurs remplacent les clowns, les équilibristes, les femmes à barbe et les cracheurs de feu.

Harlem is playing at my house…

Ce qu’on crache dans la cité universitaire pendant South By Southwest, ce sont des décibels. Partout. Dans les bars, les hôtels, les cours, les jardins, les églises, les salons, les terrains vagues, les magasins de disques et de vêtements. Et tout le temps. Puisqu’en marge de la programmation officielle qui débute en début de soirées, des tas de show-cases et de concerts sauvages rythment les après-midi.

Mardi. Veille des vraies hostilités. On ramasse quelques adresses sur Internet histoire de s’échauffer et on débarque dans un quartier mal éclairé. Pas de club. Un petit attroupement. Du bruit. Une porte ouverte. Et voilà qu’on se retrouve dans le salon (disons 4 mètres sur 5) d’une de ces maisons d’étudiants comme on n’en voit que dans les films et feuilletons américains. Des groupes plus rock’n’roll que doués se succèdent dans ce qui doit être une chambre le reste de l’année. Un vélo est accroché au plafond. Des images de jeu vidéo s’excitent sur le mur. Les gosses sont remontés. Se rentrent gentiment dans le lard. Se suspendent aux arcades. Harlem est censé terminer la soirée. On aura l’occasion de le revoir plus tard dans la semaine. Car à Austin, on turbine. Beaucoup assurent une dizaine de prestations aux 4 coins de la 6e rue et plus généralement de la ville.  » Quand tu joues une ou deux fois dans un événement de cet ampleur, tu n’existes pas,explique Kurt Overbergh de l’Ancienne Belgique. Même des groupes comme Broken Bells (le projet de James Mercer (The Shins) et de Danger Mouse (Gnarls Barkley) dont on vous parlait il y a quelques semaines, ndlr) ont multiplié les apparitions. Tu dois au moins te produire 2 ou 3 fois par jour si tu veux avoir une chance de te faire remarquer. Raison de plus si tu es belge et que personne ne te connaît. »

Max de groupes, minimum de temps

Pour Kurt Overbergh, comme pour des tas d’autres programmateurs, SXSW, c’est l’occasion de découvrir un maximum de groupes en un minimum de temps. Malgré le coût du badge (entre 600 et 750 dollars), le jeu en vaut la chandelle.  » Quand je donne cours et que j’explique à mes étudiants comment programmer, je leur dis de se laisser aller. De suivre leur feeling, leurs coups de c£ur. Mais on ne peut pas attendre les sorties et les critiques dans la presse avant de contacter un groupe. Il est alors souvent déjà trop tard. Un rassemblement comme South By Southwest permet de découvrir de nouvelles choses. Mais aussi de voir ce que valent certains artistes en live. »

Les Strange Boys, notre premier concert officiel du festival, jouent sur leur terrain. Le groupe originaire d’Austin qui se produira à l’AB dans le cadre du festival Domino ouvre la soirée Rough Trade au Emo’s. Un club assez roots souvent bondé. Le chanteur et guitariste Ryan Sambol tient le bazar à bout de bras. Esprit rock’n’roll. Voix pincée. Saxophone… On se promène quelque part entre les Black Lips et les Willowz. Juste le temps de tailler la discute avec le bonhomme et de se faire alpaguer par un sympathique éditeur anglais qu’on file au Phoenix. Une salle extrêmement classe où Warp fait la fête avec Pivot, Born Ruffians, Hudson Mohawke et Flying Lotus. Une rumeur annonce Gonjasufi en invité surprise. Pipeau…

En attendant, grosso modo, le soir, on sait où on va. Faut surtout éplucher les tableaux et faire son choix. L’après-midi, par contre, c’est une autre paire de manches. Chacun active ses réseaux. Fouille sur le Web. Se la joue au petit bonheur la chance. Un marathon, ça se prépare. Et plutôt deux fois qu’une. Il y a donc quelques trucs à savoir. Règle numéro 1:ne jamais oublier son ID. Son Identity Card. Pardon, sa carte d’identité. Sans elle, pas de bibine, interdite aux moins de 21 ans. Et les videurs ne croient que ce qu’ils voient noir sur blanc. Même si vous êtes chauve et pensionné ou que vous allez dans le même bar depuis des plombes. On sait jamais que comme Benjamin Button vous soyez né vieux et alliez en rajeunissant. Règle numéro 2: ne pas courir comme un poulet sans tête et passer son temps dans la rue.

Alors qu’on fait la file, un sport national à Austin, comme le barbecue, un immense Polonais s’impatiente et s’énerve.  » Ne me dites pas que vous comprenez, s’acharne-t-il sur un steward venu entendre ses doléances. Vous n’en avez rien à foutre. Ça fait des plombes que j’attends pour rentrer. Et j’ai pourtant payé très cher mon billet.  » La loi de l’éternelle vexation… Devant les uns, il n’y a pas un chat et devant les autres, ça se bouscule et aboie.

Faut dire qu’à South By Southwest, on croise de tout. Des groupes en devenir. Comme les 6 New-Yorkais de Golden Triangle et ses 2 chanteuses à tambourin, les 4 Surfer Blood (à l’Orangerie le 16/5) de West Palm Beach avec leur rock nineties ou encore les irritants The Drums eighties et maniérés. D’autres qui ne deviendront probablement jamais rien. On n’a pas pris la peine de retenir leurs noms. Et d’autres encore qui sont déjà devenus. Jay Mascis s’éclate avec Thurston Moore. Les Liars assurent grave. Tandis qu’Evan Dando reprend le répertoire des Lemonheads tout seul à la gratte acoustique avant de se faire chasser comme un malpropre. 2 heures, c’est 2 heures. Faut que ça roule. Tout le monde est logé à la même enseigne. Au Texas, on ne chipote pas avec le couvre-feu.

Big Star(s)

Evidemment, il y aussi des choses plus bling bling à Austin. Snoop Dogg et les Stone Temple Pilots. Muse qui donne un petit concert intimiste. Et Courtney Love qui célèbre le retour aux affaires de Hole.  » Notre passage à South By Southwest? Je ne me souviens de rien si ce n’est un chouette moment au bord de l’eau en train de contempler les étoiles« , nous avait confié Sierra de CocoRosie il y a quelques semaines. La veuve Cobain ne devait pas être beaucoup plus lucide cette année. Selon le New York Post, elle aurait communiqué d’Austin son numéro de téléphone sur le Facebook de Jason Weinberg de l’agence Untitled Entertainment. Bien vu l’aveugle… Tout autant que déclarer au public texan:  » C’était le pire show de ma vie. Contente que vous en ayez été les témoins.  »

Il y en avait des choses dépaysantes à Austin. Des lolos qui faisaient du rodéo sur des taureaux mécaniques dans un bistro. Des filles de bonne famille qui échangeaient des hugs, des petits baisers et des french kiss contre quelques dollars. Puis des fêlés qui vendaient des 8 et des 13 inch, traduisez des 45 et des 33 tours trop grands, pour le compte de l’ami Jack White dans un magasin éphémère.

Il devait se terminer par un concert des mythiques Big Star. Le 24e South By Southwest s’est achevé par un hommage à son leader Alex Chilton décédé soudainement quelques jours plus tôt. Un tribute émouvant durant lequel M. Ward, Mike Mills (REM), Evan Dando et Sondre Lerche ont rejoint les compagnons de route du génial défunt, producteur des Cramps à ses heures perdues. Video will never kill the radio (Big) star…

Texte Julien Broquet, à Austin

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