NO DEAL, SON SECOND ALBUM, FAIT LE BUZZ VIA UN JAZZ CHARNEL, CRÉATEUR DE NOUVEAUX ESPACES SONIQUES OÙ LA VOIX DOUÉE DE LA CAROLO-BRUXELLOISE MÉLANIE DE BIASIO RACONTE DES HISTOIRES, D’AMOUR FORCÉMENT.

Paraît que De Morgen a mis cinq étoiles au deuxième album de De Biasio. Ce n’est pas tous les jours qu’un média flamand adoube une musique du sud du pays: personnellement on s’en fout, mais ce syndrome étoilé confirme le magnétisme intercommunautaire (…) de No Deal. L’épanouissement de ses sept chansons dans une vaste zone dépouillée -mais riche- est drainé par les qualités vocales de Mélanie: graves aux couleurs ambrées, diction sensuelle, murmures velourés, avec ce troublant larynx qui n’a pas vraiment d’âge et encore moins de nationalité. Mélanie pourrait être une jeune biche du Mississippi comme une femme mûre d’Europe centrale, gavée d’un état musical généralement appelé blues. De fait ici, l’allure est plus jazz et uniquement si ce mot chargé désigne un sens improvisé de l’architecture sonore. Ainsi, la plage finale, With All My Love, où le dialogue entre le chant crève-coeur et quelques accords de piano, laisse soudain échapper un cumulus de synthés à tête chercheuse, mi-ambient cocooneux à la Eno, mi-fouille au corps à la Portishead. « C’est peut-être l’équivalent en peinture du non-figuratif: j’aime les tableaux, les images, les rêves et parfois, le chant m’empêchait de rêver. Sur With Love, je n’ai pas hésité à l’enlever à un endroit précis. L’épuration du disque est aussi liée au travail avec les putains de musiciens -le batteur Dré Pallemaerts, le pianiste Pascal Mohy et l’autre claviériste Pascal Paulus- qui ressemble à un long développement organique, sur scène comme en studio. J’aime les moments suspendus qui ne donnent pas l’impression de savoir où ils vont. » Mélanie cligne alors légèrement des yeux face à l’intervieweur captivé, du coup en mesure de le confirmer: Mademoiselle De Biasio est bien une biche. Pas du Mississippi mais de Charleroi.

Quand elle arrive à sa première destination le 12 juillet 1978, Mélanie a déjà une saga derrière elle: celle de l’immigration italienne du Frioul -le grand-père paternel- en quête de travail. Ce sera Cockerill-Charleroi et les promesses que la génération suivante ne fasse pas ce métier-là. Les parents de Mélanie et de sa soeur jumelle Catherine bénéficient donc de l’ascension sociale et exigent pareillement de leur progéniture. « Mais il y avait beaucoup de musique dans la famille, un grand-père faisait du bal, du Trénet, du jazzy populaire, et puis une grand-mère était une droguée de musique, la radio était son partenaire. J’entendais La Callas, Tino Rossi et aussi le rock et le blues chez mes parents, qui étaient très sorteurs et nous emmenaient dans les bars. » Chez les De Biasio, on ne vit pas à moitié, donc à trois ans, Mélanie fait de la danse classique, à huit du solfège et du chant choral, à neuf, de la flûte traversière à douze, la fille qui s’ennuie terriblement à l’école, rejoint l’Harmonie de Charleroi. « On est partis en tournée un mois au Canada, c’était différent de la kermesse de Thuin (sourire), j’avais l’impression d’exister. Ma soeur et moi n’avons pas fait le Club Dorothée mais de la diction, de la déclamation, de l’art dramatique: on rentrait de l’académie tous les soirs à 20 heures. » Ce training marathonien passe inévitablement par le flash à quinze ans sur Nirvana/Buckley et un premier groupe rock où Mélanie chante et compose en anglais, Gloubi-boulga, nom de la nourriture préférée de Casimir (…). Qui a dit que les Carolos n’avaient pas d’humour?

Quand elle peut enfin choisir librement de devenir professionnelle de la musique -après un jeu de cache-cache avec papa/maman-, Mélanie décroche un Premier Prix du Conservatoire de Bruxelles, avec la plus haute distinction. Entretemps, elle a failli mourir d’une infection pulmonaire lors d’une tournée russe des clubs underground avec Orange Kazoo. « J’étais devenue aphone et j’ai forcé: je n’ai plus pu chanter pendant un an, j’avais perdu ce que j’avais de plus cher. C’est Steve Houben qui m’a engagée et appris à travailler ma confiance et mon leadership.  » On ne s’ennuie jamais avec Mélanie.

Sac de hasards

A Stomach Is Burning, son premier album, paraît en 2007 sur le label belge Igloo: il se vend à 4000 exemplaires -chiffre flatteur- et agite la critique, notamment les spécialistes frenchies de Jazz Magazine. La suite discographique traîne, Mélanie laissant parfois reposer la « matière » pendant des semaines, des mois: « Je ne trouvais pas de solution à certains morceaux, je devais laisser décanter, il fallait que la pré-production soit hyper-claire au niveau des ambiances choisies. Je savais qu’on n’aurait que peu de temps en studio. » Bouclé en trois jours au Motormusic de Malines, No Deal, -brillamment- produit par Mélanie, met du temps à trouver une distribution. Par un autre sac de hasards, la chanteuse rentre en contact avec Gil Helmick, poète de Portland, Maine. « L’été dernier, je suffoquais dans mon appartement en face de la Gare du Midi: Gil avait filé mon disque à Charles Neville des (mythiques, ndlr) Neville Brothers, et je me suis retrouvée à faire un concert sur la Côte Est des Etats-Unis avec Neville et des musiciens venus de différents endroits, une impro collective alors qu’une danseuse réagissait à ma voix. » Finalement c’est Pias Belgique qui s’enthousiasme et prend No Deal sous son aile, signe supplémentaire que le disque a des accointances bien au-delà du jazz. Ces dernières semaines, l’affaire s’emballe, les concerts de mars au Bota et à l’Eden affichent complets, et au Bar du Matin où se passe la causerie, on vient sans cesse féliciter la trentenaire. Et l’amour dans tout cela, hein? « C’est vrai que sur l’album, il y a des love dans tous les coins (rires), mais c’est la base de la vie, de tout ce que tu fais, pour manger, pour choisir la qualité, pour… «  Oui, pour cela aussi, Mélanie.

CD NO DEAL CHEZ PIAS, EN TOUR- NÉE EN FLANDRE EN AVRIL, LE 3/05 AU FESTIVAL JAZZ À LIÈGE, LE 11/05 AUX NUITS BOTANIQUE, LE 17/07 AUX FRANCOFOLIES DE SPA, 3/08 À ESPERANZHA.

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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