Qui a dit que la République des lettres était un îlot préservé de la houle? Il suffit de pousser les volets de cette auguste demeure pour entendre fuser les cris et les jurons. Ni armes de poings ni kalachnikovs cachées sous le tapis mais bien des mots assassins qui griffent le cuir des âmes comme la pierre la pulpe du marbre. Manier l’imparfait du subjonctif n’empêche pas de se voler dans les plumes. On a ainsi eu droit coup sur coup à deux polémiques juteuses, tandis qu’une troisième, à jabot celle-là, pointe déjà à l’horizon. La plus ancienne a un petit goût de réchauffé mais ne manque pas d’épices. Première acte: en 1998, Marie Darrieussecq publie Naissance des fantômes. Marie N’Diaye, dernier Goncourt en date, casse tout de suite l’ambiance en accusant la nouvelle coqueluche de l’intelligentsia française de la  » singer« . Elles ne deviendront jamais copines mais l’affaire finit par se tasser. Deuxième acte: en 2007, Marie Darrieussecq nous prend à la gorge avec Tom est mort, roman lacrymal autour de la perte d’un enfant. Rebelote. Mais cette fois-ci, c’est Camille Laurens qui lui colle l’étiquette de  » plagiat psychologique« . En clair, elle reproche à sa cons£ur d’avoir puisé dans son histoire personnelle la trame de son roman. L’incendie gagne les plateaux de télé. Trois ans plus tard, le feu couve toujours. Chacune à leur manière, elles reviennent aujourd’hui laver leur linge sale en public: CL sans détour dans une autofiction, Romance nerveuse, MD par la bande avec un essai corrosif, Rapport de police, où elle démonte la mécanique de l’accusation de plagiat, qui équivaut pour l’auteur de Truismes à une  » tentative d’assassinat« . Yannick Haenel, auteur plébiscité de Jan Karski, a dû dévorer ce livre à la recherche de conseils, lui qui vient de se prendre la porte Claude Lanzmann dans la figure. Le réalisateur du monumental Shoah l’inculpe de crimes littéraires divers, et en particulier d’avoir pris des libertés avec l’histoire. Et alors? Haenel comme Darrieussecq ont écrit des romans, pas des témoignages, et encore moins des procès-verbaux. Ce qui suppose une liberté de ton élastique et incompressible. Assigner à la fiction un devoir de véracité, c’est interdire demain Chaplin au motif que sa représentation du Fürher dans Le dictateur ne colle pas à la réalité… A contrario, BHL ne pourra pas se retrancher derrière le paravent de la fiction pour affronter l’épreuve humiliante qui l’attend. Après ses saillies médiatiques, il entendait remettre les pendules philosophiques à l’heure dans un essai « sérieux », De la guerre en philosophie. Pas de chance, toute une partie de sa démonstration repose sur un livre-canular écrit par un loustic du Canard enchaîné. Le pauvre BHL n’aura que ses yeux pour pleurer. Et la voix d’Arielle pour le consoler. Ou l’achever, c’est selon…

Par Laurent Raphaël

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