Immunitas

Immense figure de la philosophie italienne contemporaine, Roberto Esposito reste un secret bien gardé en terre francophone. Malgré quelques traductions courageuses parues au début des années 2000 ( Communitas, aux PUF, en 2000; Catégories de l’impolitique, au Seuil, en 2005; Communauté, immunité et biopolitique, aux Prairies Ordinaires, en 2010), son oeuvre est longtemps demeuré l’apanage de quelques experts séduits par la finesse et l’érudition de sa pensée. La parution de Immunitas, 18 ans après sa première édition italienne, pourrait changer la donne. Car, avec un sens de la prescience qui pourrait sembler surnaturel s’il n’était le produit d’une grande intelligence, Esposito y expose, avec un remarquable sens de la mesure, servi par une plume limpide, le rapport compliqué que la culture européenne entretient avec l’idée d’immunité -et donc de vie. À l’heure où la question de l’immunisation a pris un tour d’une urgence presque insupportable, méditer les pages dans lesquelles il en retrace l’émergence dans le monde du droit romain, puis la diffusion dans le discours médical, avant son infiltration dans celui de la politique, permet d’éclairer de façon décisive notre situation présente et ses impasses. Car, comme le montre le philosophe, l’immunité demeure un fantasme: celui d’un corps, qu’il soit physique ou politique, qui s’imaginerait pouvoir exister sans jamais avoir à faire l’expérience du contact avec un corps étranger alors, pourtant, que c’est ce contact même qui constitue la vie. Reprenant un thème qui traverse tout son travail, Esposito démontre en effet que l’Histoire de l’immunisation est l’Histoire du refoulement de son pôle opposé: la communauté -le com-mun, qui, au contraire de l’im-mun, se déploie sous la guise du partage et de la contamination. Dans une passionnante préface rédigée au cours de ces derniers mois, Esposito en tire lui-même les leçons pour l’âge des pandémies. Elle est sans doute ce qui s’est écrit de mieux à son propos.

Immunitas

De Roberto Esposito, éditions du Seuil, traduit de l’italien par Léo Texier, 240 pages.

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