EN 5 LONGS MÉTRAGES, PIERRE ETAIX A MARQUÉ DURABLEMENT LE CINÉMA COMIQUE FRANÇAIS. RENCONTRE AVEC UN AUTEUR EN BURLESQUE MAJEUR, EN PRÉLUDE À SA VENUE À BRUXELLES POUR LA RESSORTIE DE SES FILMS.

On a longtemps cru que le cinéma de Pierre Etaix resterait, à jamais, rangé dans l’armoire aux souvenirs: pendant une vingtaine d’années, en effet, les 5 longs métrages qu’il avait réalisés au cours des années 60 sont restés invisibles, conséquence d’un litige juridique. Un comble pour des films portant la poésie burlesque à son sommet, mais une histoire qui devait connaître un happy end il y a peu, lorsque l’auteur finit par recouvrer ses droits au terme d’un procès-fleuve. Dans la foulée, c’est comme si Yoyo et autre Soupirant renaissaient à la vie, pour notre plus grand bonheur de spectateurs -démonstration ces prochains jours à Flagey, où l’intégrale de Pierre Etaix ressort en copie neuve, l’artiste venant y présenter en personne Tant qu’on a la santé.

Cet épisode juridique en aurait meurtri plus d’un; Pierre Etaix n’en laisse rien paraître, ou fort peu, alors qu’il nous reçoit dans son appartement d’une petite rue tranquille, au pied de la butte de Montmartre. Si quelques souvenirs ont bien trouvé place sur les murs, l’homme se défie à l’évidence de la nostalgie. « Vous savez, sitôt un film terminé, je passais à un autre. Je ne me suis jamais arrêté de travailler parce que j’ai toujours eu l’opportunité de faire des choses », observe-t-il sobrement, évoquant les projets d’ordres divers sur lesquels il s’est multiplié par la suite.

De fait, le parcours de Pierre Etaix défie les catégories, comme les plans de carrière. « Tout ce que j’ai appris dans ma vie, je l’ai appris de façon anarchique », sourit-il. Ce qui l’amènera notamment à travailler le vitrail pour un maître-verrier, mais encore à exercer ses talents sur les scènes de music-hall, non sans endosser, dans le désordre et au gré de ses pérégrinations, les habits de clown -la grande passion de celui qui devait créer, en 1973, l’Ecole nationale du cirque avec Annie Fratellini-, de dessinateur et même de gagman. C’est d’ailleurs à ce titre que Jacques Tati l’engage en 1954, afin de travailler sur Mon oncle. Etaix a alors 26 ans: « J’ai tout appris du cinéma, parce qu’il m’a précipité dans un bain glacé et qu’il a fallu que je me débrouille. J’ai tout découvert au jour le jour, 24 heures sur 24, pendant 4 ans et demi, et c’est un enseignement qui valait bien la pédagogie. Le charme de ce cinéma-là, c’est qu’il y avait une équipe qui travaillait de façon artisanale derrière un chef d’orchestre qui savait très bien ce qu’il voulait, mais qui avait besoin d’un regard, aussi. « 

Préceptes que saura appliquer Etaix lorsqu’il décide de voler de ses propres ailes. Son inclination personnelle le pousse vers le music-hall ou le cirque; une idée de son cru ne s’adaptant ni à l’un ni à l’autre le conduit toutefois à écrire un premier court métrage, La Rupture. La rencontre avec Jean-Claude Carrière, avec qui il partage une passion pour le burlesque américain, décide de la tournure prise ensuite par les événements: pendant une dizaine d’années, les 2 compères signent d’authentiques bijoux de la comédie, autant de films aériens où le sens du gag se nourrit de décalage et de poésie, comme dans Yoyo, merveilleux hommage aux artistes voyageurs. « Avec Carrière, c’était un échange très vivant, physique. Son enthousiasme, à chaque fois que j’arrivais avec une idée, était extraordinairement vivifiant. » Et vaut au duo d’enchaîner une collection de films délicieux, dont Etaix livre une des clés: « Si on cherche un sujet compliqué, on ne peut pas s’en sortir, parce que la complexité du sujet est plus forte que ce qu’on raconte. Et cela s’use. Alors que si l’on prend la solution la plus simple, c’est la voie ouverte à toutes les perfidies comiques. »

Anachronique? Intemporel…

En résulte un art qui est plus une question de regard que de langage, dans la grande tradition du slapstick. Et des films qui, s’ils purent apparaître quelque peu anachroniques pour certains -l’£uvre cinématographique d’Etaix est contemporain de la Nouvelle Vague avec laquelle il n’a que peu d’accointances; « Ils m’ont ignoré complètement », relève-t-il , ont aujourd’hui la saveur inestimable de l’intemporalité, même si la satire sociale s’y fraye à l’occasion un chemin. Ainsi, dans une hilarante séquence vouée à la publicité de Tant qu’on a la santé, et plus encore dans Pays de cocagne, tourné sur les routes de France à l’été 1969, dans la foulée d’un podium radiophonique -un film dont l’accueil désastreux sonnera le glas des aspirations cinématographiques de l’auteur.

L’homme aura bien quelques projets, encore -avec Jerry Lewis, notamment, pour qui il avait écrit un film intitulé Babel-, mais tous resteront lettre morte, ce qui ne l’empêchera pas de rebondir avec la grâce d’un funambule. A l’heure de la redécouverte de son cinéma, Pierre Etaix refuse les regrets de même qu’il élude, trop modeste, la question de sa descendance cinématographique. On y répondra donc pour lui, en citant Abel et Gordon, ou encore Emmanuel Mouret et son burlesque sentimental. Et puis, bien sûr, ceux qui l’ont invité dans leur cinéma: Otar Iosseliani, ou Aki Kaurismaki pour qui il a joué dans Le Havre, que l’on ne serait guère surpris de découvrir à Cannes. L’heure étant venue de prendre congé, on lui demande encore quels sont ses projets. « J’ai un spectacle qui me tient beaucoup à c£ur. Mais refaire un film, non. Je n’ai pas envie parce qu’il y a trop de contraintes. Les contraintes forcent l’imagination, c’est un fait, mais quand il n’y pas d’issue… « 

PIERRE ETAIX, INTÉGRALE À FLAGEY, BRUXELLES, JUSQU’AU 17/04. TANT QU’ON A LA SANTÉ, PROJECTION EN PRÉSENCE DU RÉALISATEUR, LE 26/03, À FLAGEY. LA TROIS REDIFFUSE, LE 30/03 À 22 H 10, CINESCOPE DE SELIM SASSON, AVEC PIERRE ETAIX, ET LE 31/03, À 22 H 50, UN SECOND ENTRETIEN RÉALISÉ EN 1973 DANS LE CADRE D’UNE TÉLÉVISION SCOLAIRE SUR LE COMIQUE À L’ÉCRAN.

L’INTÉGRALE DE PIERRE ETAIX A PAR AILLEURS FAIT L’OBJET D’UN COFFRET DE 5 DVD (FOCUS DU 14/01).

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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