SES ADIEUX À LA REINE FONT BIEN PLUS QU’ÉVOQUER LA COUR DE VERSAILLES AU CRÉPUSCULE. D’AUTRES RÉVOLUTIONS S’OFFRENT EN MIROIR DU FILM CAPTIVANT DE BENOÎT JACQUOT.

Imaginez un film en costume situé au XVIIIe siècle mais tourné à la manière d’un documentaire contemporain, avec une caméra libre et chevillée aux êtres, façon frères Dardenne. Benoît Jacquot vous offre cette expérience étonnante, avec une approche voisine aussi de celle que purent adopter le Werner Herzog de L’Enigme de Kaspar Hauser ou plus récemment l’Abdellatif Kechiche de Vénus noire.  » Dès le départ, j’ai voulu que ce film soit très physique, organique, avec une caméra qui suit le personnage de Sidonie où qu’elle aille, et au rythme qu’elle adopte. Quand elle court, il fallait que nous courions avec elle… » Le réalisateur a joint le geste à la parole, épousant la trajectoire de la jeune liseuse de Marie-Antoinette, épousant son regard, aussi, et nous plaçant en position de le faire également. C’est d’ailleurs  » le point de vue unique, rigoureux« , du livre éponyme de Chantal Thomas (1) qui a incité Jacquot à l’adapter.  » Il y avait la force de ce regard féminin, et cette concentration de l’action en 3 jours et 3 nuits, avec son potentiel dramatique intense« , commente celui qui transposa jadis avec bonheur Henry James dans Les Ailes de la colombe.

De chair et de sang

N’ayant l’autorisation de filmer à Versailles que la nuit et les lundis, le réalisateur dut tourner aussi dans un autre château des environs de Paris. Mais la plongée dans l’univers bouleversé d’une cour gagnée par la panique ( » Ce Versailles-là, c’est le Titanic!« ) n’en possède pas moins une remarquable cohérence de fond comme de forme. Et c’est avec raison que Jacquot évoque  » un crescendo dramatique constant » à propos du spectacle haletant des Adieux à la reine ( lire la critique page 31).

C’est aussi par souci de vérité organique que le cinéaste a choisi Diane Kruger pour interpréter Marie-Antoinette.  » L’âge et les origines de Diane coïncidaient, explique-t-il, elle a aussi une beauté spécifique, une finesse de peau, dont je savais qu’elles seraient parfaites pour le personnage. » De Léa Seydoux, qui joue Sidonie et dont le film confirme le très grand potentiel, le cinéaste a aimé  » la gravité, l’intense modernité que je lui ai d’ailleurs demandé de conserver dans sa manière de bouger: elle porte des robes d’époque, mais elle conserve sa démarche de jeune fille d’aujourd’hui. » Benoît Jacquot n’a rien négligé pour faire des Adieux à la reine  » une expérience proche de la vie, un film de chair et de sang« . Le réalisateur de Sade (qui fut, ironiquement, emprisonné à… la Bastille) a voulu  » fuir toute vision passéiste » pour s’inscrire  » dans une époque où cette idée d’un monde privilégié qui s’écroule, et des peurs que cela génère chez ceux qui y vivent (pas seulement les riches et puissants!), est présente dans tous les esprits« . Il lui était évidemment impossible, en préparant son film, d’imaginer à quel point l’actualité internationale, celle des révolutions arabes notamment et surtout, allait rejoindre et illustrer ce que montre Les Adieux à la reine.  » Il y a le temps du cinéma -un projet de film met des années à se concrétiser- et celui des événements historiques, commente Jacquot, mais il arrive parfois que le timing d’un film coïncide avec l’air du temps plus fortement que personne n’aurait pu le prévoir ou l’espérer. » Le cinéaste n’en exprime pas moins son vibrant intérêt pour  » ces bouleversements qui font aujourd’hui trembler même les pouvoirs en apparence les plus solides et absolus« .  » L’Histoire, c’est toujours le présent, même quand c’est l’Histoire passée, conclut-il, c’est une des choses que nous avons voulu transmettre dans Les Adieux à la reine , en le faisant vivre au spectateur comme s’il y était. »

(1) PRIX FÉMINA 2002, PARU AUX ÉDITIONS DU SEUIL.

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À BERLIN

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