Il était trois fois

© © FABIEN MATHIEU, DE LA SÉRIE "JE NE T'AIME PLUS", 2015
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Durant l’été, Contretype expose trois photographes distingués lors de « Propositions d’artistes 2016 ». Accrochage en demi-teinte.

Fabien Mathieu, Luma et Pierre Toussaint

Contretype, 4A Cité Fontainas, à 1060 Bruxelles.

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Dès l’entrée, Fabien Mathieu attrape le visiteur avec Je ne t’aime plus. Il livre un prélude sous la forme d’un papier fixé au mur par deux clous et deux trombones. Cette note liminaire livre le fil rouge de ses images: « C’est le reflet de ma perception de l’amour à travers mon expérience et celles de ceux qui me sont proches. » Merci de prévenir. On entame l’exposition sur la droite, dans le sens anti-horlogique. D’emblée, on a l’impression de remonter le cours des événements, revenir là où tout a commencé. On se dit que tout va s’éclairer. Hélas, les images résistent, c’est un chemin qui mène vers nulle part, si ce n’est la complaisance. Les photographies ont beau être accompagnées d’un script (sic), émaillées de dialogues et de l’intervention d’une voix off, on se perd dans ce qui semble être un récit personnel, « tiré d’une histoire vraie« , à l’usage exclusif… de ceux qui l’ont vécu. Des phrases touchent pourtant, par exemple quand il est question d’une naissance de l’érotisme dans les vestiaires du lycée. « Ces jeunes hommes que je ne pourrais jamais avoir, qui ne m’aimeraient jamais. » Ce sont des désirs à jamais insatisfaits, des sentiments impermanents: de petites ruptures en famille et des grandes ruptures que l’on ne digère jamais vraiment. Ces fulgurances nous traversent mais jamais elles n’emportent au-delà d’un petit sourire désolé. On reste de l’autre côté du miroir, laissé comme sur le rivage par ces portraits impénétrables. Une projection complète Je ne t’aime plus, qui restitue ce territoire particulier où se meut l’oeuvre de Fabien Mathieu, quelque part entre photographie et cinéma. « Rendre l’inutile et l’oubliable cinématographiques », confesse l’intéressé. Il nous semble que ces deux dimensions du réel n’ont été rendues à rien d’autre que leur destin premier.

Remué

C’est au sous-sol que sont exposés Luma et Pierre Toussaint à la faveur de deux pièces distinctes. Avec Malesh, Luma, photographe dont on ne sait rien, tire l’oeil de sa léthargie. Chaotique, sa proposition mêle images de différentes tailles, tirages sur différents supports, cadres à la vitre brisée et clichés d’archives. Parfois, une phrase est indiquée à même l’image. Ainsi de ce bouleversant polaroid des familles, sur fond de papier-peint fleuri et de chaussettes remontées sous le genou, qui ébranle en convoquant la parentalité sans le moindre ornement. Face à cette représentation du bonheur en version « papa maman et moi », la légende sonne comme un terrible contrepoint: « Et tous les mômes partiront comme ils sont venus: en déchirant les ventres. » Au fil de l’accrochage, pointent la violence -notamment à travers des gueules cassées par la vie- mais aussi la domination et ces « beautés qui font fi de la joliesse » qui sont le coeur du propos de Luma. Enfin, c’est le travail urbain de Pierre Toussaint qui clôt l’exposition. Inspiré par la Street Photography et camé au pot d’échappement, City Of souligne de subjugants agencements new-yorkais. Souvent, il s’agit de bâches en plastique qui se surimpriment au paysage, créant un univers abstrait entre le spectateur et la ville. Il y a aussi ces gestes furtifs dérobés par un photographe « en totale disponibilité » dont le projet est d’atteindre une épure formelle. On ne peut qu’en souligner la pertinence.

www.contretype.org

MICHEL VERLINDEN

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