Ici, la Béringie

Comme souvent avec les éditions de l’Ogre, une adresse au lecteur s’impose: dans ce premier roman, on n’entre pas comme dans un moulin. Pour autant, si sa lecture impose une certaine discipline, si un survol du texte apparaît peu envisageable (mais après tout, depuis quand exige-t-on des auteurs qu’ils nous prémâchent la substance?), le visiteur attentif en ressort ébahi, comme d’une grotte aux ressources précieuses, qui ne lui seront pour une fois pas tombées précuites dans le bec. Jugez: campé entre les actuels Alaska et Sibérie orientale, le récit entremêle, à la manière de l’historien Fernand Braudel, les vécus, liés contre toute attente, d’une de nos lointaines ancêtres (une « Qui-Collecte » du Pléistocène), d’un géologue aux balbutiements de la guerre froide et d’une archéologue affolée dans un paysage d’après-demain. Entre les deux  » doigts lithiques » enserrant le passage d’une mer à l’autre, tout un monde a vécu, disparu, avant d’être à nouveau exposé, que le jargon scientifique ni les borborygmes originels ne parviennent à réduire. En fond sonore, une machinerie d’exploitation des sols et des mythes s’évertue à couvrir les hoquets d’inquiétants tambours, porteurs simultanés d’une promesse et d’une menace pour l’homme. Éminemment travaillé, le texte s’envisage, ici, plus comme une nappe incantatoire que comme une recette de cuisine: tant mieux.

De Jérémie Brugidou, éditions de l’Ogre, 198 pages.

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