LE BONY KING A ENREGISTRÉ WILD FLOWERS À LOS ANGELES. SON GUITARISTE DOUGLAS FIRS A FAIT MIXER SON NOUVEL ALBUM À CHICAGO. ZOOM SUR CES DISQUES BELGES QUI ONT UN DOUX PARFUM D’AMÉRIQUE.

Gand. A une centaine de mètres du château des Comtes s’étend la Groentenmarkt jadis noir décor des exécutions dans la ville natale de Charles Quint. C’est au fond d’une petite ruelle étroite cachée derrière des échafaudages que se planque le Hot Club de Gand. Bar à concerts plein de cachet, jazz mais pas que, ouvert il y a maintenant dix ans. Bram Vanparys et Gertjan Van Hellemont, installés à l’étage, y ont leurs habitudes. Cleo Janse, la femme du premier, à l’occasion claviériste du second, y a même travaillé.

On est bien loin des Etats-Unis certes. Mais l’Amérique chère à Neil Young, le Bony King (qui a supprimé « of nowhere » de son nom de scène) et Douglas Firs voulaient l’avoir et ils l’ont eue. L’un est parti enregistrer son dernier album du côté de Los Angeles. L’autre, qui est d’ailleurs toujours son guitariste, s’en est allé mixer le sien à Chicago. Deux aventures, deux histoires belges, qui se croisent et se rejoignent à l’autre bout de l’Atlantique.

Dans un premier temps, le Bony King devait plancher sur Wild Flowers avec Jeff Tweedy, le leader de Wilco. « Malheureusement, sa femme est tombée malade et les sessions ont été reportées, retrace Bram, sous ses faux airs de Nick Drake. Les sessions devaient avoir lieu en mai. Elles ont été postposées en août. J’ai attendu. Ecrit de nouvelles chansons. Et puis on s’est mis à parler de début 2015. Trop tard pour moi. »

Son collaborateur et ami Koen Gisen (An Pierlé) lui suggère alors de prendre contact avec Ryan Freeland (T Bone Burnett, Joe Henry, Aimee Mann…). « Ça n’a pas beaucoup de sens selon moi d’enregistrer avec une approche américaine en Belgique. Si je suis parti en Californie, c’est parce que je voulais ce son spécifique que m’ont procuré les types avec lesquels j’ai travaillé. Aux States, le chanteur est la personne la plus importante. Le groupe est là pour le rendre meilleur. On parle moins d’arrangement, de répéter le même riff encore et encore. Cet album n’est pour ainsi dire pas produit. C’est juste une bande de mecs dans un studio qui jouent de la musique ensemble. »

Consciencieux, Bram avait préalablement écouté des disques sur lesquels Ryan Freeland avait travaillé et décortiqué la liste des musicos avec lesquels il bossait. « J’ai acheté cet album de Solomon Burke, Don’t Give Up on Me, raconte-t-il. Raising Sand que Robert Plant a enregistré avec Alison Krauss et God Willin’& The Creek Don’t Rise de Ray LaMontagne.Tous ces disques avaient un gars en commun: le batteur Jay Bellerose. Je voulais donc qu’il participe au mien. »

Wild Flowers, dont le titre n’est pas un clin d’oeil à Tom Petty -« un tas de gens ont donné ce nom à des albums et des chansons, Ryan Adams notamment« -, est assurément ce que le Gantois a proposé de plus américain jusqu’ici. « Il sonne comme ça parce qu’il a été enregistré avec ces musiciens à Culver City. Je n’avais jamais été à Los Angeles. J’y suis resté trois semaines. Je n’ai pas eu le temps de visiter. Le studio, que Ryan a construit lui-même à l’arrière de sa maison, n’avait rien de particulier et je n’ai pas grand-chose à en raconter. C’est d’autant mieux que ça t’oblige à créer ta propre magie parce qu’il n’y en a pas. »

Wilco loft

Gertjan, la tête pensante de Douglas Firs, n’a pas enregistré The Long Answer is No au pays de ce plus ou moins accueillant Oncle Sam. Il l’a mis en boîte à Malines avec son frère Sem, ses complices Simon Casier (Balthazar) et Christophe Claeys (Amatorski). Il n’en a pas moins pris l’avion pour aller le peaufiner dans la ville d’Al Capone et des Bulls avec Tom Schick. « J’avais la vague idée de le faire mixer par quelqu’un d’autre et j’avais aimé beaucoup de disques sur lesquels il avait travaillé. Des albums de Ryan Adams, de Wilco, du side project de Norah Jones The Little Willies ou encore des plaques de Jesse Harris qu’ils confectionnaient en cinq jours montre en main… J’ai fait une liste de dix personnes sans réfléchir aux disponibilités ou à quoi que ce soit d’autre. Je lui ai e-mailé des démos et apparemment il n’était pas si inaccessible que ça. Il avait rapidement une semaine de libre pour moi. Je pensais qu’il bossait à New York mais il venait de bouger à Chicago. C’était une bonne excuse pour visiter une nouvelle ville. De toute façon, lui aussi préférait me rencontrer. »

Gertjan en a profité pour visiter le Wilco Loft où Schick bosse, caché derrière les murs en brique d’un bâtiment industriel. « Tweedy tournait avec son fils en Europe. On a juste eu besoin de la salle de mixage. La console et deux baffles. Très vintage. Pas beaucoup de choses, juste ce dont ils ont besoin. Si quelqu’un m’avait dit que je pourrais juste m’y promener pendant cinq minutes, j’aurais déjà été heureux et acheté mon billet. Il y avait des guitares partout. De beaux claviers. Apparemment, ils auraient deux fois le même espace en dessous pour planquer du matériel. Ce qui est dingue quand on sait que le loft est déjà blindé de matos. Un harmonica de Bob Dylan et plein de trucs cool traînent là-bas. »

Moins roots que le disque du Bony King, The Long Answer is No a ensuite été masterisé à New York par Fred Kevorkian (Joan As Police Woman, Sonic Youth, The National). Gertjan apprécie la manière de penser américaine. « C’est blanc ou c’est noir. Sur notre premier disque, on voulait être parfait et je pense qu’on y a finalement un peu trop bossé. Tom travaille vite. Mixait deux ou trois chansons par jour. Tu lui dis: « On ne mettrait pas le piano un peu moins en avant? » Et il te répond: « Peut-être alors qu’on n’en a pas besoin. » Il n’utilisait pas de reverb, ce que je trouvais bizarre. Mais il m’a expliqué que ça ne correspondrait pas à ce que je voulais. Que ça ne sonnerait pas vrai. Je pense qu’il avait raison. Il a mixé si parfaitement tant d’albums que je lui ai fait confiance. »

American dream?

Avant que le Bony King et Douglas Firs aillent y plancher chacun de leur côté sur leur nouveau disque, ils s’étaient déjà promenés ensemble en 2013 sur les routes des Etats-Unis. « Cleo à l’époque avait envie de prendre l’air, se souvient Gertjan. Moi, je n’avais jamais mis un pied en Amérique du nord. Avec Bram, nous avons réservé nos vols pour San Francisco. Ce fut un choc, une initiation qui ont changé mon rapport à la musique. » Et l’ont notamment poussé à partir chercher un peu d’inspiration en Italie dans la maison de l’écrivain Paul Baeten Gronda et un pavillon perdu au beau milieu d’une forêt française.

« L’Amérique est omniprésente dans la musique, le cinéma et la littérature que j’aime. Je lis pas mal de bouquins en anglais pour améliorer ma connaissance de la langue. Et on a tous les trois je pense craqué sur Steinbeck. Cleo m’a recommandé A L’Est d’Eden que j’ai lu pendant notre voyage. Nous sommes d’ailleurs passés pas loin de la Vallée de Salinas… La musique que j’écoute et que j’aime, des groupes comme The Band notamment, a ses racines aux Etats-Unis. Je pense aussi aux romans graphiques de Chris Ware qui sont souvent basés à Chicago. Tu y retrouves les mêmes maisons typiques au point qu’en regardant l’architecture, tu penses être plongé dans l’une de ses histoires. »

Lors de ce trip de six semaines, Cleo, Bram et Gertjan ont donné quelques concerts à l’arrache dans de petits clubs. « Pour moi, c’était des vacances, se souvient le Bony King. Et quand je pars en vacances, je veux avoir du temps pour m’imprégner de mon nouvel environnement. Ça fait du bien de vivre loin de chez soi. Puis, ça représente quelque chose aussi de chanter tes chansons écrites en anglais devant un public anglophone. Des gens qui comprennent tes mots sans devoir y prêter une attention particulière. »

Dès qu’on évoque le nom de Gram Parsons, le visage de Bram s’illumine. « On a parlé de lui avec Eric Heywood qui joue de la pedal steel sur mon disque. Il m’a dit que c’est Parsons qui lui en avait donné l’envie il y a 30 ans. Moi je lui ai expliqué qu’il m’avait appris à chanter. Et ce même si j’avais déjà enregistré deux albums. Gram a une manière très émotionnelle et instinctive de donner de la voix, de prononcer les mots. Ce n’est pas irrésistible à la manière d’un Otis Redding. Mais j’en ai beaucoup appris. »

« En Amérique, ils ont des pedal steel dans leur salon. Comme les Européens un piano, enchaîne Gertjan. Daniel Lanois expliquait qu’à l’école tu avais le choix entre deux instruments: le trombone ou la pedal steel -comprends le jazz ou la pop. Et nous on peut au mieux les copier... »

Ni l’un ni l’autre pour l’instant ne rêvent d’une carrière aux Etats-Unis et que la touche américaine de leur album leur ouvre les portes de ce marché aux allures d’Eldorado. « Je n’ai même pas envisagé de donner des concerts là-bas avec ces gens. C’est forcément compliqué et je ne cherche pas particulièrement avec ce disque une ouverture sur les USA. Evidemment on a envie de toucher le plus de gens possible: demande à un enfant s’il veut des bonbons, plaisante Bram. Mais tu ne peux pas y faire grand-chose, excepté enregistrer la meilleure musique possible. »

« Y aller et jouer pour s’amuser pourquoi pas? Mais pour l’instant, c’est sans ambition, achève Gertjan. Il faut être réaliste. Si tu veux percer, il te faut un plan. Pendant le mixage, Tom Schick conseillait de sortir le disque aux States. Juste pour voir. Mais pendant mon séjour, j’ai assisté à un concert de Caitlin Rose. Elle est géniale et accompagnée d’un super groupe. Elle a sorti quatre ou cinq albums, et joue encore pour 60 personnes dans des petits clubs. Elle a pris du bon temps, nous aussi -ce qui reste le principal. Mais ça fait réfléchir et aide à retomber les pieds sur terre. »

BONY KING, WILD FLOWERS, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

7

LE 09/04 À L’AB, LE 22/04 AU HANDELSBEURS (GAND).

DOUGLAS FIRS, THE LONG ANSWER IS NO, DISTRIBUÉ PAR V2.

7

LE 27/03 À EUPEN, LE 17/04 AU N9 (EEKLO), LE 25/04 AU HOU’TAIN ROCK FESTIVAL, LE 01/05 AU STADSHAL (GAND).

RENCONTRE Julien Broquet

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