LES PHOTOS DE PAULINE BEUGNIES EXPOSÉES À CHARLEROI, SA VILLE, PRENNENT LE TEMPO DE LA RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE ET D’UNE JEUNE GÉNÉRATION ARABE ASPIRANT À UN FUTUR DIGNE. UN BEAU TRAVAIL EN IMMERSION.

Elle habite avec fille et mari une maison nouvellement achetée dans un quartier calme et anonyme d’Anderlecht. Il y a peu, des chiffons d’huile destinés à un plancher en réfection ont fait le coup de l’auto-combustion, l’incendie qui s’en est suivi ravageant sévère un étage du bâtiment, en dégâts uniquement matériels. Truc improbable qui arrive toutes les 10 000 lunes, confirmant d’emblée l’impression qu’on ne s’ennuie jamais avec Pauline Beugnies, 33 ans déjà bien fournis. Outre ses images fortes présentées au Musée de la photo de Charleroi, cette native de Gilly s’est fait remarquer en décrochant le Nikon Press Photo Award 2013 pour son travail en Palestine. Sa façon naturaliste de cadrer une terre soumise au séisme sociopolitique permanent depuis plus d’un demi-siècle, sans surenchère du malheur. Une justesse tant esthétique que morale, caractérisant aussi ses clichés du Caire -des clichés qui ne le sont pas. Tiens, comment la fille d’un prof de gym chez les Jésuites et d’une instit’ communale a-t-elle l’idée de partir habiter cinq ans en Egypte pour y tailler sa jeune vie? Pauline se présente comme une ex-« ado assez banale mais meneuse, passée de Take That à Korn, partie à Brisbane-Australie pour refaire sa rhéto et y suivre un cours de photo ». Celle qui commence par photographier « des arbres et des flaques à Charleroi » fait ensuite l’IHECS (1) et se voit bien dans le journalisme, déjà avec l’impression de devoir prolonger ses fréquentations d’enfance. Celles de la « discrimination positive », des petits copains arabes, turcs ou portugais de l’école primaire, qui contraste avec l’élitisme calibré des secondaires chez les curés: « J’ai toujours essayé d’aborder la religion sans jugement, comme j’aborde les gens en général. L’Egypte, j’avais du mal à imaginer qu’on puisse par exemple y être révolutionnaire, féministe et soeur musulmane. La révolution dans ce pays a aussi été une ouverture incroyable pour les femmes. »

Caisse de résonance

Au départ, le choix de la langue arabe est tactique. « Je vivotais, j’étais au chômage, j’avais quelques commandes mais c’était difficile. Je n’allais pas arriver à vivre de la photo comme je l’espérais, je m’éparpillais dans les voyages, entre l’Albanie et le Congo. Je me suis dit qu’apprendre l’arabe serait une voie. » Elle se retrouve, avec une bourse, dans le « bordel monstrueux« du Caire, 15 millions d’habitants: « Au début, je panique un peu, c’est hyper chaotique, mais les gens sont tellement expressifs que je comprends que cette langue est faite pour moi. » La saga est digne d’un roman du genre « la jeune Européenne découvrant les mystères du monde arabe »: au terme de la première année, Pauline comprend que son égyptien n’est pas assez costaud pour la porter dans son métier aventureux. Elle décide de rester, bientôt rejointe par Mathieu, futur mari qui bosse en ONG. Au quotidien, elle découvre les chicaneries du pays -la difficulté de partager, en couple, un appart avec un copain égyptien musulman: « juste pas possible!« – et cette énorme caisse de résonance de la ville, sorte de New York arabe, frénétique et fascinant. « En septembre 2009, je m’y installe comme photographe indépendante, l’une des très rares de la presse occidentale. J’ai un peu de boulot, comme pour Le Monde Magazine, et je décroche une carte de presse. » La suite s’inscrit en lettres d’Histoire, avec un début possible en juin 2010 lorsqu’un jeune Alexandrin est battu à mort par la police parce qu’il a posté la photo d’un flic fourguant de la drogue. « L’image du visage défoncé du jeune gars a fait le tour du monde arabe et, pour la première fois, a déclenché un rassemblement, à Alexandrie, bien au-delà des activistes. » Là, Pauline embraie et commence à photographier de jeunes militants ou pas, cette génération gavée d’un trop-plein d’interdits et de dictatures. « Je parlais égyptien, je connaissais la région, j’arrivais à sentir les choses, j’ai eu l’impression de me sentir photographe documentaire. »

Quand la révolution égyptienne débarque début 2011, Pauline en suit forcément l’éruption, via ceux ou celles qu’elle fréquente depuis des mois. Et par exemple Soleyfa, en cette journée-clé du 25 janvier. Dans le très beau livre Génération Tahrir (éds Harmonia Mundi),pendant à l’expo de Charleroi, Pauline témoigne du mouvement de rein gigantesque qu’ont été ces jours et nuits où le pouvoir égyptien s’est effondré: « 2011 a été une année dingue et décisive, modulant la personne que je suis. Tu ne peux pas être indemne après avoir vu des gens mourir pour leurs idées. Toutes les questions que j’avais ado -quand on m’appelait « Ché Beugnies »…- devenaient concrètes: je considère mon métier comme une forme d’engagement. Si c’était alimentaire, je ferais autre chose. C’est maintenant, dans la concrétisation de ce livre et de cette expo, que je commence à trouver des réponses. » A l’été 2013, alors qu’ils sont en vacances en Belgique, Pauline et Mathieu apprennent que des centaines de personnes ont été tuées au Caire le 14 août -1000 au moins d’après Human Rights Watch. « Les Frères musulmans, avec lesquels je bossais pas mal, avaient été attaqués par l’armée: tous mes copains de là-bas me disaient que je ne pourrais plus bosser au Caire, tellement le gouvernement mettait la pression. On y est allés fin septembre pour liquider les meubles et on est venus s’installer à Bruxelles, où notre fille est née en janvier 2014. » Depuis lors, celle qui se présente comme un « électron libre » a séjourné huit fois en Egypte, a participé à un Web doc (2) et travaille actuellement sur un 80 minutes qui suit quatre personnages issus de la révolution: « Je me suis soudain sentie limitée par la photographie, et j’avais besoin de partager la parole de ces gens qui racontent leur histoire à la manière d’un carnet intime. Je n’ai pas encore terminé ce que j’avais à faire au Caire. »

GÉNÉRATION TAHRIR AU MUSÉE DE LA PHOTOGRAPHIE DE CHARLEROI JUSQU’AU 22/05, WWW.MUSEEPHOTO.BE

(1) ECOLE SUPÉRIEURE DE JOURNALISME À BRUXELLES

(2) SOUT EL SHABAB – LA VOIX DES JEUNES, WWW.EGYPTE.FRANCECULTURE.FR

RENCONTRE Philippe Cornet

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