Mathieu Boogaerts: « Il y a tellement de façons d’aborder la vie que j’ai été frustré à l’idée de me limiter à un seul endroit »

Après la région parisienne, l'Afrique ou encore Bruxelles, Mathieu Boogaerts s'est arrêté durant cinq ans à Londres. Résultat: un disque dans la langue des froggies. © NOEMIE REIJNEN
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Via le documentaire Mathiou et L’album En anglais, l’unique Mathieu Boogaerts poursuit ses aventures de chansons épurées, cette fois anglophones, concoctées au cours de cinq années de vie à Londres.

La connexion avec Mathieu se fait depuis la maison qu’il retape en Drôme. Après cinq ans en Albion, il a prévu de partir de son premier étage londonien, « entre Brixton et Clapham ». Entre deux vies, comme il l’a souvent fait, le natif de Fontenay-sous-Bois, au sud-ouest de Paris, n’a cessé de voyager. Et d’abord en famille, puisqu’au-delà des comptines enfantines de Chantal Goya, Boogaerts junior découvre une partie sérieuse de la chanson française via Dick Annegarn, Néerlandais notoire. C’est le fait d’un père antiquaire qui n’aime rien tant que les meubles sophistiqués et les traces d’un passé au-delà de la modestie des apparences. « Ses valeurs esthétiques étaient à environ 180 degrés des miennes, se souvient Mathieu. Pas étonnant si j’ai plutôt été fasciné par l’inverse: le dépouillement, l’épure, l’économie, l’intemporel, même si j’évite de m’identifier à un quelconque minimalisme. Ma vocation est de trouver les justes mots, les justes mélodies. Je ne cherche pas le maigrelet et rien ne m’empêche d’aimer les multiples couches, par exemple chez Peter Gabriel. Ma mère, de son côté, a d’emblée supporté mes envies, y compris quand j’ai abandonné le lycée en seconde, elle m’a très vite fait confiance. Tout cela donnant des processus, au final, assez inconscients. » Pas de bac pour Boogaerts qui tente sa chance avec un morceau baptisé Super en 1990, le titre sortant cinq ans plus tard sur son premier album. « Avec cette chanson, je trouve quelque chose qui me semble très personnel, qui me met à l’aise, lancinant, au point de vouloir la livrer au reste du monde. » Dès le départ, Mathieu mesure la subjectivité d’appréciation de son travail par autrui: « Que quelqu’un me trouve beau, chiant, minimaliste, tout est possible, je respecte le cadre de référence des gens. Pour moi, chaque chanson est une nouveauté. Je me laisse aller à ce que mon corps me dit. Quant à l’emballage, cela reste surtout modeste, intime. Même si je peux aimer les péplums, dès qu’il s’agit de mon répertoire, si cela devient précieux, brillant, clinquant, je ne me sens pas à l’aise. »

Une écriture pas automatique

Sans vouloir psychologiser Mathieu au-delà du raisonnable, ses voyages ne sont évidemment pas exclusivement familiaux. Boogaerts, qui a d’ailleurs séjourné à Bruxelles, vers 2006 et suivantes, multiplie les séjours en Afrique et passe notamment six mois en 1992 dans les pays de l’est du continent le sac au dos. Se produisant çà et là grâce au réseau « francofricain » de la culture. Mathieu trouve alors dans « le chanteur africain du coin de rue, une émotion plus grande que vis-à-vis des productions occidentales chargées ». Pas de quoi en faire un programme politique, Mathieu ne se sentant pas de vocation militante particulière, pas non plus dans la rédaction de ses textes. À l’écoute, on peut avoir l’impression d’une sorte d’écriture automatique – et minimaliste mais Mathieu est plutôt du genre à remettre la chanson des dizaines de fois sur l’ouvrage, regardant à la loupe émotionnelle les mots utilisés comme la configuration des sons. « Je n’ai jamais le projet d’une chanson, mais quand j’ai une bribe de mélodie, je laisse les mots sortir de ma bouche. Je crois en eux parce que s’ils arrivent, il doit y avoir une raison. Une phrase ou deux vont ainsi façonner la chanson, le son, le ton, le rythme. Et puis, ce sont des milliards d’heures (sic) de travail, pour que chaque titre ait une identité forte et exprime un sentiment, qu’elle ait ses propres frontières. » De fait, quand on se plonge dans le nouvel album, En anglais, on sent parfaitement le sentiment de passer au-delà du miroir. En Lewis Carroll frenchie, le quinqua règle les mesures entre le doc et la pure fiction, le franchissement du reflet. « Je suis incapable de faire une synthèse entre les avis différents que je reçois. Dans la facture de réalisation d’un disque, j’aime bien l’idée de n’avoir que quelques instruments différents, et pas cent à ma disposition. Donc, ce disque anglais possède une facture vraiment voulue, chaque titre ayant son propre rythme, son propre propos. Et puis, oui, je crois avoir une plume, une personnalité. » Mais oui. De là, on en revient un peu à la perception des musiques en-dehors du Top 50. Façon un rien vulgaire de qualifier des chansons composées durant un trip anglais qui aura donc duré cinq années. L’amateur de guitare nylon brésilienne et de son cubain, fasciné par la production du beatlesien Sgt. Pepper, emménage donc dans le sud de Londres avec cette idée mastoc de devenir un buvard anglais. Mathiou, le très sympa documentaire d’une vingtaine de minutes disponible sur YouTube, raconte les aventures londoniennes du Français et montre Boogaerts se produisant dans de petits clubs londoniens. Les gens se marrent. French flavour. Décalage mais sincérité des émotions.

No dictionnaire

« Il y a tellement de façons d’aborder la vie que j’ai été frustré à l’idée de me limiter à un seul endroit. J’ai eu l’envie de rencontrer beaucoup de gens, de femmes, je lis beaucoup de livres d’Histoire, une façon de me relier à la réalité. » Lorsque la copine de Mathieu a l’opportunité de s’exiler à l’étranger, le couple choisit Londres, « a priori pour rester une année ». Au départ, Boogaerts n’a aucun projet artistique en Albion mais, « se sentant complètement inutile à Londres », se lance comme défi de faire un disque en anglais. Même après voir vécu à Paris et Bruxelles, Mathieu découvre le cosmopolitisme à l’anglaise, version métissée XXL des sociétés continentales. « Je comprends bien la langue anglaise même si je ne la parle pas vraiment fluent . Mais pour écrire ces chansons, je me suis concentré plus que jamais, sans aller chercher un mot dans le dictionnaire! Il faut que l’anglais qui sorte de moi soit déjà digéré, soit donc assez naïf, modeste, réduit. C’est très intéressant de faire sortir des mots de ma bouche sans qu’ils ne sonnent ridicules. Cette contrainte est stimulante. » Mathieu se produit donc pas mal au Servant Jazz Quarters, bar à cocktails de Dalston, équivalent bobo de Molenbeek et Saint-Gilles. Le film Mathiou montre un musicien dans un tempo pas tout à fait réaliste, ce qui semble faire plaisir aux locaux. On voit des images du Mathieu qui chante au coin d’une rue, même ignoré des joggers de passage. Leçon d’humilité confirmée quand on le voit trimballer sa lourde mini-sono dans les périlleux escaliers du métro londonien. « Au bout de cinq ans, je me suis toujours senti expatrié, ce qui n’est pas forcément désagréable parce qu’il y a toujours quelque chose de grisant à revenir en France, pays qui me manque et qui est extraordinaire. » Lorsqu’on pose la question de savoir si Mathieu se sent comme le prochain Charles Aznavour (lire encadré ci-dessous), improbable crooner décalé, ben non. « De toute manière, je me sens fondamentalement français et là, j’ai le sentiment d’être allé au bout d’une histoire. Notamment en réalisant les derniers clips. Quand je joue devant des Anglais, je me sens foncièrement français, je peux les regarder dans les yeux. »Là, Mathieu vient de faire quelques interviews promo, notamment avec la BBC. Donc, qui sait ce qui pourrait vraiment se passer? Une conclusion, Boogaerts? « Faut juste que je puisse jouir des 25 prochaines années! » On attend donc ça, depuis Londres ou ailleurs…

La tournée Mathieu Boogaerts devrait commencer à l’automne.

« En anglais » de Mathieu Boogaerts

Mathieu Boogaerts:
© NOEMIE REIJNEN
L’accent de Mathieu Boogaerts en anglais: le « ze » plutôt que le « the ». Le briton pour débutants, à portée de tous les linguistes ratés. Mais on s’y fait assez vite, en remettant les onze titres une première, une deuxième et même une troisième fois. Dans un style boogaertsien, Mathieu bâtit de petites cabanes en montagne: on y a chaud et on y rêve beaucoup d’amour. D’autant qu’ici, les détails prennent à bras-le-corps les nécessités de délicatesse. Et dessinent le charme d’arrangements fins: relents acoustiques, claviers complices, sifflotements, petits choeurs, claquements de doigts et même body drum. De quoi passer du pastoral Guy of Steel au plus zazou The Price. Toujours à fleur de peau -et d’histoires in love…- dans une économie sonore inverse aux nombreux sentiments d’un album qui colle bien à la peau. Distribué par Pias.2. ****

Mathieu Boogaerts:

French Touche

Lorsque Daft Punk annonce son split, la presse anglaise ne tire pas sur le corbillard mais sort pleinement ses ressources nécrologiques. Ainsi, dans The Guardian , Alexis Petridis déclare, en toute simplicité, que « Daft Punk ont été les musiciens pop les plus influents du XXIe siècle ». Une réelle reconnaissance du plus fameux des duos casqués, et plus généralement d’une rare catégorie française appréciée du public d’Albion: les musiques électroniques. De fait, de Cerrone à Laurent Garnier, de Jean-Michel Jarre à Air, les succès populaires français outre-Manche sont plutôt des instrus dansants, les éventuels lyrics anglophones d’Air ou Daft Punk étant d’abord d’un usage sonore, plus que de sémantique textuelle. Au-delà d’une reconnaissance aimable de Phoenix ou Cassius, voire de la collaboration Daho-Saint Etienne, il s’agit plutôt d’une manie des années 60. À commencer par Sacha Distel qui, dès 1962, sort un album In English Please! spécifiquement destiné au marché anglais, où le crooner multiplie, jusqu’à sa mort en 2004, disques et tournées à succès. Il remplit le Royal Albert Hall – et pas uniquement de Français – et cartonne dans la comédie musicale Chicago sur la scène du West End londonien. Autre réel intérêt, celui pour Françoise Hardy. Plébiscitée pour son folk mélancolique par les Swinging Sixties anglaises, elle chante aussi In English sur un album de 1966. Et continue, plus de quatre décennies plus tard, à susciter l’intérêt contemporain des angliches. Impossible de rayer de la liste Charles Aznavour et plus encore Brel, certes Belge. Si ce dernier s’est contenté de s’exprimer en langue française, c’est bien son oeuvre qui a le plus marqué les artistes britanniques, de Bowie à Dusty Springfield. Reste maintenant à Mathieu Boogaerts de s’immiscer dans cette improbable lignée zigzagante.

Françoise Hardy
Françoise Hardy© HULTON-DEUTSCH COLLECTION/CORBIS/CORBIS VIA GETTY IMAGES

Daft Punk
Daft Punk© HULTON-DEUTSCH COLLECTION/CORBIS/CORBIS VIA GETTY IMAGES

Jean-Michel Jarre
Jean-Michel Jarre© HULTON-DEUTSCH COLLECTION/CORBIS/CORBIS VIA GETTY IMAGES

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