LA PARAMOUNT ET UNIVERSAL, LES DEUX PLUS ANCIENS STUDIOS HOLLYWOODIENS TOUJOURS EN ACTIVITÉ, FÊTENT LEUR CENTENAIRE CETTE ANNÉE. UN ÉVÉNEMENT DÛMENT CÉLÉBRÉ EN BLU-RAY, ET L’OCCASION D’UN FLASH-BACK SUR LEURS HISTOIRES CROISÉES.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

Aux yeux des cinéphiles, le globe terrestre en rotation de Universal et le pic enneigé cerclé d’étoiles de la Paramount font office de madeleines de Proust -au même titre d’ailleurs que le lion rugissant de la MGM ou les projecteurs de la 20th Century Fox balayant le ciel au son d’une partition tonitruante d’Alfred Newman. Et pour cause, ces différents logos ayant accompagné et continuant d’incarner l’aventure du cinéma hollywoodien et de ses studios -une histoire séculaire pour les deux premiers, qui fêtent ces jours-ci leur centenaire alors même que l’industrie américaine du Septième art traverse une crise aiguë. A cet égard, l’épopée de la Paramount et de Universal ne fait pas que raconter, de fort belle manière encore bien, un siècle de cinéma made in USA; elle illustre aussi les mécanismes à l’£uvre dans un système de production hollywoodien où cohabitent, depuis toujours, business et art, logiques économique et créatrice, suivant un rapport de force fluctuant. Celle que Blaise Cendrars qualifiait de Mecque du cinéma n’a pas été baptisée « usine à rêves » pour rien en effet -le réalisateur Otto Preminger, dans son autobiographie, parlera plus prosaïquement de « fabrique à saucisses ».

Carl Laemmle, un visionnaire

Résultat de la fusion de diverses sociétés, au premier rang desquelles la Independent Motion Picture Company de Carl Laemmle (un ancien exploitant de nickelodeons) et la New York Motion Picture Company de Charles Baumann et Adam Kessel, la création de la Universal Film Manufacturing Company, le 30 avril 1912, traduit l’effervescence que connaît alors l’industrie naissante du cinéma. L’heure est aux pionniers visionnaires. Et Laemmle est assurément l’un de ceux-là, immigrant allemand parti de rien, ou peu s’en faut, et qui a su prendre d’emblée la mesure du potentiel d’un art qui n’est encore guère plus qu’un divertissement de foire. Et de se lancer dans la production de longs métrages, avant de créer, dans la foulée, Universal City, dont, avisé, il ouvrira les portes au public. Traffic in Souls, le premier long sorti par la société, parle de la traite des Blanches et connaît un franc succès; la machine est lancée, Universal produisant 9000 films pour la seule période du muet. La Paramount, pour sa part, est née à l’instigation de W.W. Hodkinson, afin de distribuer les films d’autres compagnies, et notamment ceux de la Famous Players Film Company, créée par Adolph Zukor en 1912, et de la Jesse L. Lasky Feature Play Company, qu’avaient fondée Jesse Lasky, Samuel Goldwyn et Cecil B. DeMille un an plus tard. De rapprochements en absorption, l’appellation Paramount s’impose, la société, sous l’impulsion de Zukor, un ancien fourreur d’origine hongroise, ne se limitant pas à la production et à la distribution de films, mais exploitant aussi un large parc de salles à travers les Etats-Unis -intégration verticale qui sera l’une des clés de sa réussite, faisant d’elle la première « major ».

Boostées par des perspectives vertigineuses (le cinéma deviendra, dès le milieu des années 20, le loisir préféré des Américains, les productions hollywoodiennes inondant par ailleurs le marché européen), les compagnies se multiplient alors. C’est dans cet environnement ultra concurrentiel que chacun tente de trouver ses marques. Ainsi, et sans négliger pour autant les productions de prestige, comme All Quiet on the Western Front de Lewis Milestone, Universal s’impose dans le film de genre, avec une prédilection pour le mélodrame, le western et, bien sûr, le film d’horreur. Démonstration au début des années 30, lorsque sortent coup sur coup, et à l’initiative de Caerl Laemmle Jr cette fois, Dracula, Frankenstein et autre The Mummy, fleurons d’un catalogue fantastique qui, incidemment, donneront naissance aux franchises -soit l’une des mannes du cinéma hollywoodien d’aujourd’hui.

La ligne adoptée par la Paramount est sensiblement différente: « Nous avons bâti l’industrie cinématographique sur les stars », répétait Zukor, leitmotiv qu’il met en pratique d’entrée avec Mary Pickford, « petite fiancée de l’Amérique » que suivront Gloria Swanson, Rudolph Valentino, Gary Cooper, Claudette Colbert, ou encore Marlène Dietrich. Le succès du star-system ne se démentira pas: Blaise Cendrars (1) rapporte que « en 1935, la Paramount à elle seule a mis à la poste 750 000 photographies d’artistes adressées à la presse et à des « fans », c’est-à-dire à des fanatiques de cinéma qui lui en avaient fait la demande, et Clara Bow, qui a battu tous les records connus du « sex-appeal », a reçu en son temps jusqu’à 35 000 lettres d’amour en une seule semaine! ».

La Paramount est par ailleurs considérée comme le plus européen des studios, elle qui emploiera des réalisateurs comme Josef von Sternberg ou Ernst Lubitsch, nommé directeur de production -politique de prestige que traduira limpidement un slogan: « Si c’est un film Paramount, c’est un spectacle sans rival. » Ce label de qualité, la société implantée sur Melrose Avenue, à Los Angeles, réussira à le maintenir contre vents et marées. Ou plutôt, s’agissant de Hollywood, en dépit de scandales -la carrière de Roscoe « Fatty » Arbuckle sera sacrifiée sur l’autel de la moralité, au début des années 20, le code Hays en découlant-, et autres revers de fortune, se relevant d’une faillite au c£ur de la Grande Dépression. Mae West, Bing Crosby, Bob Hope, Veronica Lake… assurent la continuité de la success-story dans un premier temps, bientôt rejoints par une nouvelle génération d’acteurs, les Burt Lancaster, Kirk Douglas, Dean Martin et autre Jerry Lewis, notamment. Et l’on ne parle même pas des réalisateurs comme Billy Wilder, William Wyler ou George Stevens qui travaillent pour le studio au tournant des années 40 et 50. Une liste extensible à loisir: c’est par exemple pour la Paramount qu’Hitchcock tournera, quelques années plus tard, ces insurpassables chefs-d’£uvre que restent Fenêtre sur cour et, bien sûr, Vertigo.

Capacité à se réinventer

Chaque studio disposant de son réservoir de talents, on pourrait évoquer encore Robert Siodmak signant quelques maîtres films noirs pour Universal dans les années 40, le tandem Anthony Mann/James Stewart y relançant le western avec Winchester ’73 dans les années 50, cela alors même que Douglas Sirk y tourne ses plus grands mélodrames. Soit, pour le coup, d’étincelantes réussites artistiques qui n’en sont pas moins les produits d’une industrie guidée par des enjeux économiques et à même, tel le phénix, de toujours renaître de ses cendres -un brin diminuée, le cas échéant. Leur âge d’or a beau être bel et bien révolu, et leur omnipotence mise à mal, dès la fin des années 40, par la loi anti-trust démantelant les empires verticaux, sans même parler de l’avènement de la télévision, les studios n’en font pas moins de la résistance. Intégrés, certes, à des consortiums plus vastes, mais pragmatiques et aptes à se réinventer, générant, au besoin, leurs propres programmes télévisés. Ou, à l’instar de la Paramount au début des années 70, réussissant à rebondir sur le Nouvel Hollywood, en produisant les films de Francis Ford Coppola ( The Godfather), Terrence Malick ( Days of Heaven) et autre Robert Altman ( Nashville). Mieux même, à compter du milieu de ces années 70, c’est comme si les studios, reprenant la main, avaient trouvé la pierre philosophale, sous la forme de pop-corn movies à destination privilégiée des ados, pré et post inclus. Universal et Paramount n’échappent pas à la règle qui, dans la foulée de Jaws ou de la saga d’ Indiana Jones, vont trouver là une recette qui continue à faire florès, dominant outrageusement la production au risque même de la déséquilibrer, entre blockbusters et sequels à répétition façon The Fast and the Furious et autre Transformers. Pour sûr, There’s no Business Like Movie Business…

(1) HOLLYWOOD, LA MECQUE DU CINÉMA, DE BLAISE CENDRARS, ÉDITIONS GRASSET, 1936.

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