HÉROS POTENTIEL

Dan Stevens, vu dans la série Downton Abbey, incarne David Haller, un être aux pouvoirs multiples et dévastateurs, dans Legion.

L’ADAPTATION EN SÉRIE DU COMICS PSYCHOPATHE LEGION TOURNE LE DOS AUX CODES DE LA MAISON MARVEL. ELLE ENCLENCHE LA RELECTURE NOVATRICE D’UN UNIVERS TORTUEUX, COMPLÈTEMENT BARRÉ ET AUX POTENTIELS MULTIPLES.

Si vous ne saviez pas à l’avance que Legion et son personnage principal David Haller sortent tout droit de l’univers Marvel, rien dans cette nouvelle série réalisée par Noah Hawley (Fargo) pour FX ne vous l’indiquera -à moins de passer au peigne fin chaque minute de ce dédale narratif et esthétique. C’est ce qui fait de cette plongée dans un monde où tous les retournements, les failles spatio-temporelles et les ruptures sont permis, possibles, souhaités et même réalisés, une expérience perturbante ou jouissive, selon.

Le personnage de David Haller est créé en 1985 par Chris Claremont et Bill Sienkiewicz, dans les aventures des Nouveaux Mutants. Ces X-Men junior, protégés du professeur Xavier, sont un spin-off des histoires de Wolverine, Tornade, Cyclope et cie. À l’époque, les dessins de Sienkiewicz, névrotiques et hachurés, avaient divisé des fans habitués à des lignes plus claires, à un classicisme à peine modernisé. Haller apparaît sous le nom de Legion, un psychopathe aux sourcils broussailleux et coupe new wave… Un Morrissey qui vivrait en permanence le doigt dans la prise. Un être aux pouvoirs télékinétiques dévastateurs, multiples et imprévisibles, générés par un esprit émietté en plusieurs centaines de personnalités -d’où son nom.

De tout cela, il n’est jamais question dans la première saison de la série, qui rebondit aux rythmes des retournements d’états d’esprit d’un personnage qui n’est ni super-héros ni super-vilain. David est en hôpital psychiatrique aux côtés de son amie Lenny (Aubrey Plaza) et de Sydney Barrett (surnommée Syd, dans un clin d’oeil appuyé au fondateur génial et impulsif de Pink Floyd qui a fini sa vie aux fraises) dont il tombe immédiatement amoureux (elle est jouée par Rachel Keller, vue dans la saison 2 de Fargo, ça aide). À moins qu’il ne soit en train d’être interrogé par les experts d’une mystérieuse agence gouvernementale? Ou peut-être en pleine séance de psychothérapie? Ou bien est-ce une IRM? Une dispute avec sa soeur? Un rêve? Un cauchemar? Et pourquoi ne peut-il toucher ou embrasser Syd sans que l’opération ne soit bien plus qu’un échange de fluides? Le récit ricoche au fil des personnalités multiples qui s’expriment dans la psyché labyrinthique de David. « Le personnage de Legion a été développé dans le cadre d’une politique d’édition de Marvel axée sur les adultes, avec des scénarios et des interactions entre les personnages plus complexes, plus sombres, avec une place non négligeable laissée au sexe et au sang. Si la violence dans les films Marvel est héroïcisée, stylisée, dans Legion, elle est beaucoup plus gore. » Journaliste geek et producteur de musique, Jean-Christophe Detrain peut aisément être considéré comme le plus grand connaisseur francophone de l’univers Marvel appliqué au cinéma et à la télé. Sur son site Geekzone, il a publié une enquête minutieuse retraçant l’histoire du MCU, le Marvel Cinematic Universe (1) « Legion n’est pour l’heure pas du tout connecté au Marvel Cinematic Universe, qui regroupe l’ensemble des arcs narratifs lancés par Marvel et Disney. David Haller n’est rien moins que le fils caché du professeur Xavier. Mais tant ses pouvoirs psychiques aux contours flous que sa personnalité torturée en font un être à part. »

Nous sommes Legion

La folie de David a une fonction que la psychologie, la psychiatrie, la médecine et tous les experts qui se penchent sur son cas échouent à expliquer. Comme l’écrivait Michel Foucault, « c’est la folie qui détient la vérité sur la psychologie »… et c’est la folie de David qui est le véritable traitement du scénario. L’inadaptation au monde décrétée à propos de Haller est en réalité une faculté qui trahit ses pouvoirs pas à pas, dans des moments de crises, de colère, de peur. C’est le noeud de tous récits initiatiques: tant que David ne contrôle pas ses pouvoirs -qui défient la physique et toute forme de rationalité- il est dangereux; surgit alors une question fondamentale qui porte sur la difficulté de trouver la liberté d’être soi, de faire face à son pouvoir et ses conséquences, de choisir au service de quoi ce pouvoir sera mis, l’autorité ou la rébellion.

Dans un monde psychique où tout est possible, où la distinction entre bien et mal est constamment questionnée, les créateurs de la série s’en donnent à coeur joie: « Il n’est pas étonnant de retrouver aux manettes Noah Hawley, le showrunner de la série Fargo« , s’emballe Jean-Christophe Detrain. « Il casse la narration proprement télé de ses sujets. » On retrouve cette même dimension ludique, voire burlesque (un moment Serge Gainsbourg dont on ne vous dira rien) dans l’esthétique pop de Legion. « Et cette même narration chaotique, expérimentale, truffée de bizarreries qui génèrent du malaise, d’intrigues mises longtemps en suspens qui accélèrent d’un coup, de résolutions qui se laissent désirer jusqu’au bout. » Comme Fargo a ses accès de violence non contrôlée, Legion a ses accès de démence qui laissent des odeurs d’armageddon. L’une comme l’autre amènent à penser que Noah Hawley opère sans restrictions. « Je rapproche aussi volontiers Legion de Mr.Robot, avec ce narrateur dont la crédibilité est sans cesse remise en cause par sa psyché instable, qui joue constamment avec la suspension de crédulité.« Suivre Legion demande une attention de chaque instant,car »la série propose un langage et un format tout à fait nouveaux: le cadrage, en fonction des personnalités prééminentes de David Haller, peut passer du 16:9 au 4:3 puis au cinémascope et ne laisse, en dehors de ce qui se voit l’écran, aucun contexte auquel se raccrocher, car tout est centré sur lui« . Dan Stevens, qui endosse le personnage de Legion, réputé inadaptable, est à ce titre tout bonnement phénoménal: la folie transperce de ses regards biaisés et de ses moues incrédules.

Une des réussites de Legion est de se jouer des attentes du public, d’inscrire dans un univers archi connu et balisé (les super-héros Marvel), celui d’un personnage hors du commun. Une fois que le regard et l’esprit s’habituent, l’accélérateur de récit se remet en branle et nous balance à l’autre bout du spectre. En cela, Legion digère magnifiquement l’essence du comics d’origine, sans sacrifier au format et au timing télé. Au bout du compte, il n’est pas sûr que la première saison suffise à capturer le potentiel ni l’identité de Legion, disposée quelque part entre Eternal Sunshine of a Spotless Mind, Vol au-dessus d’un nid de coucou et les obsessions symétriques et lunatiques de Kubrick ou Wes Anderson. En presque pas très clair: Legion est une série capable de tout. C’est même à ça qu’on la reconnaît.

(1) WWW.GEEKZONE.FR/TAG/MARVEL. L’ENSEMBLE VA PROCHAINEMENT ÊTRE ÉDITÉ CHEZ THIRD EDITIONS.

LEGION: VENDREDI 12/05 À 20H30 SUR BE SÉRIES, LUNDI 15/05 À MINUIT SUR BE1.

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TEXTE Nicolas Bogaerts

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