Quand le X Factor de la TV anglaise envoie le Heroes de Bowie à la première place des charts, le clip accompagnant vante la bravoure des militaires british en opération en Irak et en Afghanistan. Drôle de kidnapping.

Eté 1977, Berlin. David Bowie enregistre Heroes, chanson emblématique de l’album du même nom qui sort à l’automne. Sur un véritable mur du son de circonstance -le studio Hansa est à quelques encablûres de la frontière entre les 2 Berlin-, l’Anglais raconte une histoire sans nationalité: 2 protagonistes qui s’embrassent, près du Mur. Pas tout à fait anonymes puisqu’il s’agit de Tony Visconti, son producteur, et de la choriste Antonia Maas. Visconti est un homme marié -à l’idole sixties Mary Hopkin-, les détails seront donc longtemps confidentiels. Heroes, qui sort simultanément en anglais, français et allemand, est un tube d’importance: musicalement, il respire la congélation de l’époque encore en pleine Guerre froide. Le texte, lui, exalte la frénésie de l’état amoureux porté jusqu’à incandescence. Heroes devient un classique bowien.

A la guerre comme à la guerre

Fin novembre 2010. L’émission X Factor, diffusée par la chaîne privée ITV, envoie le même Heroes en tête des charts britanniques, le single se vendant à 144 000 exemplaires en une semaine. La version de X Factor est bien dans la tradition des télé-crochets à la Star Academy où une nuée de jeunes gens -il s’agit d’un tir groupé- vient plus ou moins surinterpréter le titre choisi. Sauf qu’en Grande-Bretagne, commercialement parlant, le genre n’est pas moribond: 13 millions de spectateurs en moyenne pour la saison 2009. Ce qui signifie qu’une chanson choisie couvre son auteur de droits sonnants et, dans ce cas-ci aussi, trébuchants… Ce qui retient l’attention dans ce Heroes 2010, c’est moins le casting que le clip accompagnant la diffusion de la chanson. Des images de militaires (anglais) embrassant leurs familles, des soldats sur le terrain de la guerre et tout un toutim de clichés éminemment patriotiques destinés à faire pleurer le public sur une supposée dévotion guerrière. Pour le direct sur ITV le 20 novembre, c’est carrément une brigade en tenue kaki qui débarque sur le plateau et vient se planter derrière les 16 finalistes-chanteurs… Précision non négligeable: les bénéfices de la version d’ X Factor iront à Help For Heroes (sic), organisme de charité britannique qui s’occupe des militaires anglais blessés depuis le 11 septembre 2001. Tout cela est un peu déstabilisant: Bowie, dont la chanson traite essentiellement de la tension amoureuse d’un couple, a-t-il volontairement adhéré à la nouvelle vision de ses Heroes, revenant glorieusement du front irako-afghan? En a-t-il quelque chose à faire, du haut de son exil new-yorkais, double penthouse de lower Manhattan (285 Lafayette Street) acheté pour 4 millions de dollars en 2000? Probablement pas, même si c’est toujours un bonus fastoche pour un artiste dont le dernier album remonte à septembre 2003.  » We can be heroes, just for one day« , disait la chanson. Un peu plus longtemps pour David.

DE PHILIPPE CORNET

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