RÉVÉLÉE SUR LE TARD, JESSICA CHASTAIN S’EST IMPOSÉE COMME LA NOUVELLE MERVEILLE DU CINÉMA AMÉRICAIN, INSPIRANT AUSSI BIEN TERRENCE MALICK QUE CHRISTOPHER NOLAN. SON TALENT DISCRÈTEMENT INCANDESCENT ILLUMINE AUJOURD’HUI THE DISAPPEARANCE OF ELEANOR RIGBY, LE DIPTYQUE DE NED BENSON.

Mai 2011 restera comme la date charnière dans le parcours de Jessica Chastain. L’actrice californienne, qui avait tâté des séries télévisées (et non des moindres, passant de Urgences en Veronica Mars) avant d’être distribuée par Al Pacino en Salomé, fait briller le soleil cannois d’un éclat particulier, The Tree of Life de Terrence Malick, et Take Shelter de Jeff Nichols, imposant sa présence frémissante. Quelques mois plus tard, The Help, le mélodrame de Tate Taylor, achève d’enfoncer le clou de sa notoriété naissante pour l’introniser, la trentaine bien entamée, nouvelle rousse célèbre de Hollywood, après Rita Hayworth, Julianne Moore et quelques autres. Trois ans plus tard, Miss Chastain ne s’est pas contentée de confirmer. A croire, même, qu’elle a le don de transformer ce qu’elle touche en or, elle dont la filmographie s’avère aussi variée qu’exemplaire, où le Coriolanus de Ralph Fiennes voisine le Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, la Miss Julie de Liv Ullman côtoie le Interstellar de Christopher Nolan. Soit les multiples déclinaisons d’un talent qu’elle a discrètement incandescent, comme The Disappearance of Eleanor Rigby (lire critique page 30) en apporte aujourd’hui la nouvelle démonstration.

Perspective féminine

Pour son premier long métrage, le réalisateur américain Ned Benson a opté pour un diptyque, embrassant l’histoire d’amour chancelante d’un couple confronté à un événement tragique des points de vue masculin et féminin, les Him (James McAvoy) et Her (Jessica Chastain) qui composent les variations subtiles de ce drame intimiste en deux temps. Associée de longue date au projet, Jessica Chastain n’est pas étrangère à ce découpage singulier: « Ned et moi sommes amis depuis plus de dix ans, explique-t-elle, d’une voix claire survolant le brouhaha cannois, le film ayant été présenté, dans sa version de synthèse, Them (lire par ailleurs), à Un Certain Regard. Je l’ai rencontré au festival de Malibu juste après être sortie de Juillard. Il y avait présenté un court métrage dont le ton et la sensibilité m’avaient beaucoup plu, cela m’avait fait penser à In the Bedroom, de Todd Field. Je l’ai donc attendu dans le hall du cinéma pour lui dire que j’aimerais travailler un jour avec lui, et je lui ai donné mon CV. Je dois avoir été sa première fan, et nous sommes devenus fort proches. Quand il a écrit Eleanor Rigby, Ned m’a demandé si je voudrais en être -je travaillais à l’époque sur The Tree of Life. Le scénario adoptait le point de vue masculin, comme la plupart des films d’aujourd’hui. Je tenais à faire ce film, parce qu’il croyait en moi, mais je voulais aussi qu’on y trouve la perspective féminine: pourquoi disparaît-elle? Où va-t-elle? Qui est dans sa vie? Et voilà comment il s’est mis à écrire Her, l’autre version. L’expérience s’est révélée fort spéciale, parce que Ned n’arrêtait pas de m’interroger sur les relations entre soeurs, le lien mère-fille, une collaboration très différente de tout ce que j’avais connu jusqu’alors. »

Mieux qu’une coquetterie, le dispositif enrichit incontestablement The Disappearance of Eleanor Rigby, dont les parties successives se complètent plutôt qu’elles ne se répètent, les deux perspectives subjectives composant un fascinant dégradé de sensibilités. Quant à Jessica Chastain, elle trouve dans cet échange à deux voix matière à déployer son jeu en nuances infinies et subtiles. Et de s’en référer à Isabelle Huppert, modèle déclaré qui se trouve jouer sa mère dans Eleanor Rigby, et dont elle se rappelle combien sa découverte, dans La Pianiste de Michael Haneke, l’avait proprement subjuguée. « Je me suis dit: « Oh my God. » Il suffit de regarder ses yeux, tellement pleins de mystère. C’est comme un puits profond d’émotions et d’intelligence. J’étais encore étudiante lorsque j’ai vu ce film, et c’est là que j’ai compris que si on ressentait les choses, et qu’on était dans la situation, on ne devait rien faire. » Etre plutôt que faire, telle est la question…

A l’écouter évoquer l’actrice française, on a l’impression que Jessica Chastain vit parfois un rêve éveillé. Ce qu’elle ne dément pas, racontant comment Ned Benson la taquinait à ce propos sur le tournage. « Chaque fois que je me trouvais près d’Isabelle, j’étais un peu en lévitation. » Mais si sa vie ressemble désormais à un tourbillon –« J’ai l’impression que The Tree of Life, c’était il y a dix ans déjà »-, l’actrice sait aussi faire la part des choses. « J’adore me trouver sur un plateau, et c’est là que j’ai passé le plus clair de mon temps ces deux dernières années. Je ne ressens donc pas de grand changement: je ne suis pas surexposée, et j’arrive à entourer ma vie privée d’une certaine discrétion. Quand on parle de moi, c’est au sujet de mon travail. Du coup, je ne suis pas harcelée; tout au plus si, de temps à autre, quelqu’un vient me dire un mot gentil sur un film dans lequel je joue, ce que je trouve positif. »

La blonde et la rousse

La suite ne s’annonce pas moins prometteuse, puisqu’elle a enchaîné les tournages de Crimson Peak, de Guillermo del Toro, et de A Most Violent Year, de J.C. Chandor. « Je faisais des allers et retours entre New York et Toronto, raconte-t-elle. Passer d’un projet à l’autre était difficile, j’avais deux accents différents, un coach pour chaque film, et un look à l’opposé, sombre et mystérieuse dans l’un, blonde et glamour dans l’autre. Je tournais une scène pour J.C. à New York, et puis je m’envolais pour Toronto. C’est quelque chose que je ne ferai plus jamais, mais je tenais à ce que ces projets aboutissent. » A en juger par l’épatant A Most Violent Year, qui sortira début février, le jeu en valait largement la chandelle.

Dans la foulée, Jessica Chastain s’apprête à relever un autre défi, puisqu’elle devrait interpréter Marilyn Monroe dans Blonde, d’Andrew Dominik, adaptation déjà maintes fois repoussée du roman de Joyce Carol Oates. « Beaucoup de gens me parlent d’un « Marilyn Monroe movie », mais je n’envisage pas la chose comme cela. Quand on m’a proposé ce rôle, j’y ai surtout vu un film d’Andrew Dominik, un grand artiste, doté d’un sens visuel étonnant. Et Blonde, le roman, ne traite pas exclusivement de Marilyn Monroe: c’est une oeuvre de fiction autour de Marilyn Monroe, mais elle représente un archétype, la « blonde ». A mes yeux, il s’agit d’un grand roman féministe sur la façon dont la société, et l’industrie, dévorent la « blonde ». C’est cela qui m’intéresse, bien plus que de tourner un biopic inutile, tant il y en a déjà eu. » La blonde et la rousse, voilà qui promet…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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