DEUX ANS APRÈS SEPT JOURS À LA HAVANE, DONT IL ÉTAIT L’UN DES CORÉALISATEURS, LAURENT CANTET RETROUVE CUBA À LA FAVEUR DE RETOUR À ITHAQUE, UN FILM PASSANT LA RÉALITÉ LOCALE AU CRIBLE DES SOUVENIRS D’UN GROUPE D’AMIS…

Laurent Cantet apprécie les îles: Haïti, où il tournait Vers le Sud, il y a une dizaine d’années; Cuba, où se situe aujourd’hui Retour à Ithaque, après le segment La Fuente du film collectif Sept jours à La Havane; le Lido de Venise, aussi, auquel le lie une déjà longue histoire, depuis que L’emploi du temps y fit sensation en 2001, bien avant que Cannes ne lui apporte la consécration définitive sous la forme de la Palme d’or d’Entre les murs. Un Lido où on le retrouvait, détendu, à la faveur de la dernière Mostra, où son nouveau film était présenté dans le cadre des Giornate degli autori…

Venant après son expérience américaine sur Foxfire,Retour à Ithaque (lire la critique page 40) confirme le tour résolument international pris par le parcours du réalisateur, Cantet n’ayant plus tourné en France depuis son sacre cannois, en 2008. Mais alors que l’on serait enclin à y voir le fruit de quelque volonté délibérée, lui préfère évoquer les circonstances: « Pour Foxfire, le livre de Joyce Carol Oates m’a tout de suite plu, et les images se sont imposées très rapidement. Je terminais le montage d’Entre les murs, un tournage que j’avais vécu de manière assez exceptionnelle, et le désir de me reconfronter à une bande d’adolescents m’a aussi donné envie de réfléchir à ce film-là. J’ai essayé de l’adapter en France, mais sans réussir, parce que les images qui me venaient étaient américaines, tout comme l’histoire, dont beaucoup de facteurs font qu’elle n’est pas transposable. J’ai donc décidé d’aller tourner aux Etats-Unis comme, quelques années plus tôt, j’étais allé tourner une histoire haïtienne à Haïti. C’est vraiment l’histoire qui impose le lieu et la manière de tourner. »

S’agissant de Cuba, les choses ont mis plus de temps à se décanter, le premier contact entre le réalisateur et la perle des Caraïbes remontant aux repérages de… Vers le Sud, à une époque où tourner à Haïti apparaissait impossible du fait de la violence y régnant. « J’ai rencontré plein de gens, j’ai compris deux ou trois choses sur le pays, mais j’ai surtout senti tout ce que je n’y comprenais pas, et j’ai eu envie d’y retourner », se souvient Cantet. Si bien que lorsque l’opportunité de participer à Sept jours à la Havane se présente, il hésite d’autant moins que Leonardo Padura en supervise les scénarios. « J’avais lu tous ses livres, et il m’avait presque servi de guide dans Cuba, parce que même s’il me parlait de Cuba très précisément, il me décrivait des choses que je pouvais partager. Il y avait une universalité de la littérature qui m’a touché. »

Un monde qui nous échappe

Entre l’écrivain et le cinéaste, la connivence est manifeste. Et ce qui ne devait être qu’un court métrage se double bientôt d’un long, prenant lointainement sa source dans Le Palmier et l’étoile, roman relatant notamment l’histoire d’un exilé retrouvant Cuba et se voyant confronté à ses amis d’autrefois. Soit un socle permettant à Laurent Cantet d’appréhender la réalité cubaine à juste distance: « Donner la parole à des Cubains, voilà très clairement ce à quoi j’aspirais. Je ne voulais pas arriver pour donner mon point de vue de Français sur Cuba, ils n’en ont rien à foutre de mon regard. Je n’ai de leçon, de politique ou autre, à donner à personne. J’ai juste eu envie de les écouter, de leur donner de l’espace et le temps nécessaire pour que leur histoire puisse être racontée. Je tenais à conserver cette humilité face au projet. » Au point d’y gagner, aussi, cette légitimité dont il souligne combien elle lui a posé question. « Je n’ai cessé de me demander ce que je venais faire là, et j’y réponds de deux manières: l’universalité de toutes ces questions sur la perte de l’idéal, les renoncements ou la difficulté que l’on peut avoir à envisager un avenir aujourd’hui, tout cela dépasse très largement le cadre cubain. Et ma présence dans l’histoire nous a obligés Leonardo Padura, les acteurs, et moi aussi, à être un tout petit peu plus explicites. Entre Cubains, un certain nombre de choses n’auraient pas eu besoin d’être expliquées. Là, comme ils s’adressaient à moi, il y avait un élément de pédagogie sur l’histoire cubaine. »

Une histoire envisagée sans fard pour le coup, Cantet écornant au passage une certaine mythologie à laquelle il confesse n’avoir jamais été très sensible, « peut-être d’abord parce que je suis trop jeune pour avoir vécu vraiment le moment où Cuba a pu représenter une autre voie, un autre communisme. Mais je vois l’espèce presque de romantisme qui peut être attaché à Cuba, et auquel je pense que le film répond. » Il y a là, en effet, comme le glas des utopies, celle-là parmi d’autres, qui se cristallise dans la peur tenaillant les protagonistes de Retour à Ithaque, jusqu’à avoir façonné leur existence. Et nourri, au passage, la portée universelle et intemporelle du propos –« on arrive dans une période tellement trouble que cette peur du lendemain, ce vertige que l’on peut éprouver face à un monde qui nous échappe, devient la question la plus anxiogène. Il y a de moins en moins de réponses tranchées à donner », observe le réalisateur. A l’échelle cubaine, le travail d’inventaire auquel se livre son film ne vaut d’ailleurs pas liquidation, le réalisateur se refusant à toute conclusion hâtive, n’était la conviction partagée par l’ensemble des Cubains, pouvoir compris, de l’imminence d’un « grand chambardement ». Perspective accueillie avec des sentiments ambivalents, à mesure des incertitudes qu’elle soulève. A cet égard, ce retour à Ithaque n’est pas synonyme, pour autant, de fin de l’Odyssée…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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