VILLE MUSICALE, PORTUAIRE ET POPULAIRE, LIVERPOOL ABRITAIT LES 25 ET 26 SEPTEMBRE SA QUATRIÈME PSYCH FEST. VOYAGE DANS LE BERCEAU DES BEATLES ET ZOOM SUR LE PHÉNOMÈNE EN VOGUE DES FESTIVALS PSYCHÉDÉLIQUES.

De la brique, du béton, du métal. De grands et hauts espaces industriels qui témoignent du passé ouvrier. C’est au Camp and Furnace que bat depuis trois ans le coeur arythmique de la Liverpool Psych Fest. Accueillant jadis une fonderie edwardienne, un carrossier et une fabrique de lames, les lieux sont désormais animés par des défilés de mode, des conférences, des expos, des tournages et des mariages. Fin septembre, le temps d’un week-end, ses 3250 mètres carrés ont pris l’habitude de réunir les amoureux de plus en plus nombreux du psychédélisme. Si les Psych Fest ont poussé comme de la mauvaise herbe aux quatre coins du monde ces dernières années célébrant son retour en grâce public et médiatique, celle de Liverpool s’est imposée comme le pendant européen du grand rassemblement texan d’Austin fomenté il y a sept ans maintenant par les membres de Black Angels.

Placé sous le signe de la diversité et de la découverte, accordant une importance toute particulière à son identité visuelle et aux nouvelles technologies, l’événement emmené par Spiritualized et Factory Floor met pour sa quatrième édition à l’honneur énormément d’artistes européens. Feeling of Love, Turzi, J.C. Satàn, Etienne Jaumet, Forever Pavot et pour agiter le dancefloor Black Devil Disco Club… Les Français ont débarqué en masse.

« Combien existe-t-il de Psych Fest en Europe aujourd’hui? Des centaines. Il y en a partout, commente devant une grande bière l’initiateur de son édition liverpuldienne, le lessivé Craig G. Pennington, parti pieuter à sept heures du mat. Ce qui est intéressant, c’est que la plupart de ces événements sont complètement différents. J’imagine qu’il en allait déjà de la sorte dans les années 70. Quand les festivals ont explosé et se sont multipliés. La notion de psychédélisme est tellement large que le paysage est changeant. Il dépend d’où tu te trouves géographiquement, de qui établit le programme, du décor, de l’esthétique. C’est plutôt excitant. »

Barbu à grosse touffe, sorte de Wayne Coyne du nord de l’Angleterre, Pennington est depuis cinq ans l’éditeur en chef de Bido Lito, mensuel gratuit et rose pâle focalisé sur l’activité musicale de la ville qui publie notamment dans son dernier numéro un article sur les accointances entre les bâtiments historiques et les raves. « Je suis né ici. J’y ai grandi. Mon pote Tom qui est promoteur m’a proposé il y a quelques années une coprod pour un concert des Dead Skeletons dont je suis grand fan et on a fini par monter ce festival. Nous étions fascinés par tout ce courant néopsychédélique et nous avons voulu célébrer ces musiques que nous aimions tant. Evidemment inspirés par ce qu’il se passait du côté de l’Austin Psych Fest. Je n’y ai jamais mis les pieds. C’est justement ce qu’on s’est dit: c’est loin. On n’a pas de fric. Organisons-le nous-mêmes. »

360 degrés

Deux robustes hangars (Camp et Furnace) où le Zombie Zombie Etienne Jaumet invite dans son univers de science-fiction, Destruction Unit met KO debout les oreilles en sang et Tess Parks flirte avec Anton Newcombe (les guitares du Brian Jonestown Massacre avec une voix entre Courtney Love et Hope Sandoval). Deux petites jauges (la Blade Factory et le District) où les mystérieux Bonnacons of Doom hypnotisent planqués derrière des masques miroirs et les gamins de Crows (énergie Eighties Matchbox B-Line Disaster, early Horrors) crachent leur rageuse électricité… Le spectateur est comme dans une bulle entouré de projections et de lumières hallucinées. A l’étage, un pop-up store de Piccadilly Records, des projections de films, une étrange human soup en guise d’installation, des casques futuristes pour lesquels il faut faire la file et des musiciens locaux qui jouent de la batterie sur leurs guitares…

« On ne fait pas vraiment la même chose qu’Austin. J’ai aussi voulu apporter une dimension arts plastiques et visuels. Penser une expérience, une approche, multisensorielle tournée vers le futur et les nouvelles technologies. Une juxtaposition du psychédélique analogique traditionnel et du progrès. Cette relation me semble déterminante. Posséder à la fois des groupes comme The Heads et Factory Floor à notre affiche illustre totalement mon état d’esprit. C’est important qu’on ait de chouettes artistes. Que la programmation soit bonne, mais je vois surtout le truc comme une expérience. Une plateforme célébrant une subculture internationale. Tellement de festivals dans le monde sont juste une liste interminable de groupes. »

La philosophie est à l’image de sa vision à 360 degrés du psychédélisme. « Le psychédélisme est une forme artistique qui t’emmène ailleurs. C’est de l’art plastique et visuel, de la musique, du cinéma qui t’embarquent vers de nouveaux mondes et de nouvelles expériences. Je n’affirme pas que c’est sa définition. Les mots, les genres, les concepts évoluent avec le temps, avec les contextes dans lesquels ils sont utilisés. Ce terme de psychédélisme est surchargé de sens. Mais c’est celui que j’aime lui donner. On me dit: Factory Floor n’est pas psychédélique. Moi, je réponds que c’est le groupe le plus psychédélique de la planète. C’est de la transe. Il te catapulte dans un autre univers. Comme Spiritualized et sa psych soul gospel. Quand tu as ce genre de conversation, on vient souvent te parler de drogues. Mais elle n’est en rien l’essence du psychédélisme. Pour moi, toute musique vraiment géniale est psychédélique. Parce qu’elle te transporte quelque part et qu’elle t’y perd. »

Psychédélisme de crise

« L’industrie de la musique s’est toujours focalisée sur le futur. Sur une fabrication hebdomadaire de nouveaux produits. Elle a toujours été obsédée par l’avenir, par le who’s next? Quitte à zapper volontiers le passé. Aujourd’hui, la relation des gens à la musique a changé de manière drastique. Et ce passé, ils le (re)découvrent. Les artistes comme le public amènent de nouvelles perspectives sur ces trucs des 50-60 dernières années, notamment psychédéliques. On se replonge dans l’Histoire. On y amène sa touche. On ré-imagine et essaie d’en tirer profit pour créer des choses nouvelles. »

L’avènement d’Internet, son évolution comme celle des habitudes de consommation culturelle ont évidemment amplement contribué au phénomène. « L’accès complet à tout ce qui est possible et imaginable ou presque a libéré les artistes. Il y a vingt ans, le seul moyen de jeter une oreille sur ce qui s’était passé auparavant, c’était d’avoir un père avec une incroyable collection de disques (ou de bosser dans un magasin, NDLR). Tout le monde a cette collection et bien plus encore sur son téléphone aujourd’hui. Ça a tout changé. »

Notamment pour le psychédélisme, sa propension à l’évasion, sa quête de l’ailleurs. « Le psychédélisme peut t’emmener dans un tas d’endroits différents. Son retour en grâce et son ébullition ces dernières années ne sont pas étrangers, je pense, à la crise qui a frappé l’Angleterre et l’Europe. Ça ne peut pas être une coïncidence. »

Ces liens étroits, Liverpool en sait quelque chose. Même si très peu d’artistes à l’affiche du festival sont originaires du coin et seuls 30 % de ses visiteurs viennent du Merseyside, le psychédélisme est inéluctablement lié à l’histoire de cette ville portuaire et populaire. « Sans la musique et le football, Liverpool craindrait un max. Tomorrow Never Knows est l’une des premières chansons psychédéliques. Je ne vais pas te refaire l’histoire des Beatles. Mais on a aussi les La’s, Cream et son acid house, The Coral, The Zutons, Clinic et dans un tout autre genre Forest Swords. Je pense que toute cette histoire est attachée au besoin irréductible d’évasion. De se sauver. On parle quand même d’un vieux et traditionnellement pauvre port. Et tu peux facilement imaginer le rôle que le foot, la musique, la poésie ou que sais-je encore peuvent y jouer. Liverpool a besoin de rêve. C’est une ville très irlandaise aussi. Le sentiment d’identité ici est enraciné dans la musique. »

Comme les magasins (« je me demande parfois où les gens vont chercher l’argent qu’ils y dépensent ») et les filles en minijupe et courtes manches qui tanguent dans le froid sur leurs talons passé une heure du mat (jusqu’au Burger King, welcome to Zombieland), John, Paul, George et Ringo sont partout. Ils ont leurs bars (respectifs et nominatifs), leur musée (sur les docks, à côté de la Tate), leurs magasins de souvenirs (du pyjama pour bébés au sweat à capuche en passant par une impressionnante collection de mugs et de pin’s) et le sosie de leur Cavern, club où ils ont joué à 300 reprises en deux ans et demi, reconstruit à quelques mètres de son emplacement initial quasiment à l’identique, en partie avec ses briques, pour des raisons urbanistiques.

« Quand tu grandis ici, les Beatles sont toujours là. Partout. Une omniprésence hallucinante. Mais on ne peut pas s’en plaindre. Tu n’imagines pas le bien qu’ils ont fait à cette ville. En matière de reconnaissance mais aussi de tourisme. Regarde toutes les autres cités industrielles du nord de l’Angleterre, elles sont foutues, fatiguées, sinistres. Leur raison d’être a disparu. Elles ne savent plus rien y faire. Nous, nous avons ce rêve que nous pouvons vendre aux quatre coins du monde. A jamais associés à cette musique extraordinaire. La musique, Liverpool est un cadre parfait pour la célébrer. Et notre festival est tout sauf un événement replié sur lui-même pour promotionner la scène locale. »

Bouffée… d’oxygène

Si les Psych Fest ne sont pas une marque déposée, une organisation internationale prônant l’hallucination généralisée (à Bruxelles, le Stellar Swamp aura le droit à sa deuxième édition en février), le Liverpool International Festival of Psychedelia dont l’assistance grossit de 500 personnes à chaque édition (1000 par jour lors de la première, 3000 aujourd’hui) est tout de même lié au Eindhoven Psych Lab. « C’est notre petit frère. Ses organisateurs sont venus il y a trois ans. Ils ont beaucoup aimé et ont voulu monter un événement similaire chez eux. On a développé le projet ensemble. »

Sans oeillères, la programmation de Craig G. Pennington et de ses acolytes est devenue un gage de qualité et de bonnes surprises. « Beaucoup de festivaliers ne connaissaient pas les trois quarts de ce qu’on a proposé lors de cette quatrième édition. Et pour être honnête, quand on a commencé à booker le festival, en octobre de l’année dernière, je n’avais pas entendu la moitié des artistes qui se sont finalement retrouvés sur notre affiche. Ce que les gens peuvent découvrir ici en un week-end, on l’a détecté, nous, en cinq mois. C’est bien plus intéressant et excitant comme ça. »

L’offre est tellement foisonnante et de qualité que la programmation est aisée. Têtes d’affiche exceptées. « Elles sont juste un putain de cauchemar. L’intervention des agences de booking, les questions d’exclusivité, les cachets qu’elles demandent et les risques qu’elles te font prendre… C’est simple: si une année, on se plante méchant, je perds ma maison. »

L’éclosion de nombreux groupes européens et leur arrivée à maturité est dans ce contexte une bénédiction pour un rendez-vous qui fonctionne sans sponsors (par choix) ni subventions (par obligation). La Liverpool Psych Fest a ainsi pris l’habitude de s’en aller fouiller en Scandinavie. Invitant cette fois Megaphonic Thrift, les Sonic Youth norvégiens et les éthérés Death and Vanilla.

« Pour beaucoup, le psychédélisme, c’est les hippies, le flower power, les sixties, les jams interminables, expliquent ces derniers, passionnés par le vieux cinéma italien, Polanski, les thrillers et films d’horreur psychologiques. Mais nous, ce que nous cherchons, c’est l’entre-deux. Entre deux routes parallèles, il y en a toujours au moins une troisième. Intangible. Elle est là mais tu ne peux pas la voir. On parle de choses concrètes mais aussi d’état d’esprit. C’est ce qui explique qu’on sonne parfois très sombre, mais qu’on peut se montrer lumineux et doux. On affectionne cette exploration par-delà les frontières des façons d’être. »

« Le succès des Psych Fest est sans doute lié au rejet des merdes qu’on nous sert à la radio, termine Pennington. Mais elles sont également l’occasion de vivre une incroyable expérience physique à une époque où les réseaux sociaux nous vendent des vies de carton pâte. Elles offrent une bouffée d’oxygène. Et les gens, du moins certains, veulent respirer de cet autre air. »

TEXTE Julien Broquet- PHOTOS Keith Ainsworth

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