NANOUK LEOPOLD, LA RÉALISATRICE DE BOVEN IS HET STIL,CHANTE SUBTILEMENT UNE DIFFÉRENCE SEXUELLE QUE LE CLIMAT D’INTOLÉRANCE AMBIANT REND PLUS FRAGILE ENCORE.

L’époque où nous vivons voit s’opérer une régression en matière de tolérance envers la liberté sexuelle. Etre gay et marcher dans la rue en se tenant la main est une chose dangereuse. Je trouve ça terriblement triste… » Nanouk Leopold est née en 1968, à Rotterdam, et elle a pu grandir dans des Pays-Bas qui étaient à la pointe sur plus d’un sujet de société, notamment l’ouverture aux différentes déclinaisons d’une sexualité vécue plus librement en Hollande que dans la plupart des autres pays d’Europe. La réalisatrice du très remarquable Boven is het stil, adaptation sensible du roman de Gerbrand Bakker, est marquée par le retour en arrière visant les homosexuels et remettant aussi en cause, sous l’influence de certaines religions (l’Islam, mais pas seulement), les acquis d’un féminisme qui a surmonté les obstacles durant trois décennies. Dans son film, un paysan vit son homosexualité de manière refoulée, suite à des circonstances que nous ne dévoilerons pas ici tant la chronique qui s’y déroule sous nos yeux libère subtilement ses secrets. Boven is het stil aborde une thématique dont on aurait pu croire qu’elle ne susciterait plus aucune polémique. « Mais les années 60 et 70 sont déjà très loin« , soupire la cinéaste dont la confiance dans l’avenir de la démocratie est minée par un air du temps de moins en moins respirable. Le cadre de son film, loin des violences urbaines, est celui d’une campagne où la pensée est restée figée, où un homosexuel devenu quinquagénaire « n’a pas eu de grande possibilité de se découvrir, encore moins de s’épanouir« … Et de révéler que « dans certaines régions du pays profond, où la religion domine encore, de nombreux jeunes gays n’oseraient jamais avouer à leur père qu’ils le sont. Nous sommes bien moins émancipés que nous voudrions le croire! »

L’art de Nanouk Leopold s’enrichit dans son nouveau film d’une très belle métaphore entre le métier de paysan, travaillant la nature extérieure, et la condition intime du héros invitant à se poser aussi la question de quoi faire avec la nature, la sienne en l’espèce. « Le personnage principal du film essaie de se travailler lui-même comme il cultive la terre, explique-t-elle, mais la nature ne se laisse pas modifier durablement, elle reprend vite ses droits, dans le paysage autour de la ferme comme dans sa tête et dans son corps d’homme vivant des désirs interdits. » Leopold apprécie qu’au terme de ce qui reste longtemps un drame poignant, une lumière vienne signaler la fin du tunnel. « Renoncer à combattre notre nature profonde n’est pas une défaite, même après 50 ans d’efforts. Cela peut être au contraire une libération. Helmer ne finira sans doute pas comme son père, comme un vieil homme mourant désespérément seul dans un lit où l’amour n’est jamais entré… » Boven is het stil est avare de mots, comme son protagoniste, mais riche d’images révélatrices, comme au début quand Helmer s’occupe de son père malade sans prononcer une parole, et de la même manière qu’il lave et soigne son bétail… « Et pourtant, il est resté, lui, il n’a pas laissé son père crever à la ferme pour s’en aller vivre à la ville« , commente une réalisatrice à l’humanisme fervent, qui ne néglige aucun détail visuel pour rendre le propos de son film à la fois précisément situé et largement ouvert à une dimension universelle. Tout en privilégiant « le non-dit, en jouant de l’espace avec ce vaste plan de nature très prometteur au départ, puis la claustrophobie qui nous saisit pour ne se relâcher que vers la toute fin du film« . Une mise en images somptueuse, avec au centre un acteur non moins extraordinaire: Jeroen Willems. « C’était notre plus grand comédien!« , soupire une Nanouk Leopold que le décès précoce de Willems en décembre dernier, victime d’une défaillance cardiaque à l’âge de 50 ans seulement, a cruellement marquée. « Il y avait quelque audace à le choisir lui, l’intellectuel raffiné, pour incarner un personnage de fermier aux antipodes de son image et de sa culture, conclut la cinéaste, mais Jeroen savait vraiment tout faire… »

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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