Le Magasin 4 a 20 ans: « Ce que nous avons en commun, c’est le goût d’une musique différente »

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Lieu de résistance, le Magasin 4 fête ses 20 ans d’exploration musicale, d’Underground passionné et de do it yourself forcené.

Avenue du Port. Dos au canal, face à l’imposant et prestigieux Tour & Taxis, ses pierres oranges et ses centaines de fenêtres arrondies, un sombre hangar défraîchi fait vivre la musique à Bruxelles dans les marges et les chemins de traverse depuis maintenant cinq ans. Cinq ans que le Magasin 4, chassé de sa précédente tanière vendue au plus offrant, s’est installé chez un ancien grossiste en matériel de toiture. « 900 mètres carrés avec, quand on a débarqué, un toit en plastique ondulé. Le cordonnier est toujours le plus mal chaussé, rigole Denis Colinia, depuis douze ans administrateur d’Entropie, l’asbl qui a pour objet la production, la diffusion et la promotion artistique par le biais de cette véritable institution de la vie nocturne bruxelloise. Nous n’avons pas fait appel à des corps de métier. Nous avons tout retapé nous-mêmes, acheté des briques, du ciment et retroussé nos manches. »

C’est historique. Au Magasin 4, sécurité exceptée, tout le monde est bénévole. Derrière le bar, à la conception des flyers, au son comme à la bouffe. « En gros, en 20 ans, 200 personnes ont donné de leur temps pour le Magasin. Là-dedans, il y a des musiciens mais aussi des électriciens, des maçons, des plombiers… Ce que nous avons en commun, c’est le goût d’une musique différente. Une musique libérée des contraintes commerciales. Je me prends encore entre cinq et dix claques par an. C’est super, non, quand tu as déjà vu des milliers de concerts dans ta vie? »

Flash-back. Au départ, en 1993, il y a Eric Lemaître (PPZ30) et le Bulten. Un énorme bâtiment industriel. Plusieurs niveaux. Deux salles. Lee Scratch Perry et l’un des premiers concerts de dEUS. Entre les difficultés à payer le loyer, subvenir aux charges et les problèmes de voisinage, l’aventure tourne court… Le Bulten ferme ses portes en 1994. Avec Michel Van Achter (le label Sing Mary), Jean Malotras (soirées Stratomic) et Denis Maréchal, Lemaître rebondit au 4 rue du Magasin. « L’idée est simple. Celle d’une salle où ils peuvent faire jouer leurs groupes et montrer des bazars qu’on ne voit pas partout ailleurs. Une salle qu’il ne faut pas louer et équiper. Il n’y avait pas grand-chose à l’époque mis à part des squats comme le Kaputt et le PK qui n’a toujours pas été démoli d’ailleurs ou un truc comme les Halles de Schaerbeek. »

L'ancien Magasin 4
L’ancien Magasin 4© DR

En 20 ans, le Magasin 4 a organisé 1700 soirées et accueilli 5700 groupes (3300 différents). Il tourne aujourd’hui autour de 130 événements l’année. Soit entre 300 et 400 concerts. « Pendant notre petite année de fermeture, certains artistes nous ont dit qu’ils abandonnaient la Belgique sur leur itinéraire de tournée. La seule concurrence, et encore très saine, à laquelle on s’est senti confrontés, ça a été le Recyclart. Mais je ne demande pas mieux qu’il y ait quatre ou cinq Magasin 4 à Bruxelles. Ça ne suffirait pas à faire jouer tous les bons groupes sur les routes. »

Punk, métal, ska, hardcore, noise, rap, rock expérimental… Le Magasin 4 a toujours soigneusement laissé ses oeillères au placard. Pour célébrer dignement ses 20 ans, à partir du 30 août, pendant un mois de festivités qui se terminera… le 20 décembre avec René Binamé et une boum de Noël, la salle (une jauge de 500 places) accueillera Drums are for parades, Sham 69, L’Enfance rouge, Napalm Death, The Ex, Peter Kernel, les Slugs ou encore Part Chimp… « Ces derniers nous ont spontanément proposé de se reformer pour l’occasion. Sinon, on a contacté les groupes qui nous ont le plus marqués pendant toutes ces années et ceux dont on avait toujours rêvé… »

Moins cher que le cinéma

Si le Magasin 4 propose pour moitié des coproductions (« l’organisateur se débrouille avec les entrées, nous prenons le bar« ), il tient de plus en plus souvent les rênes. « Un sold out qui picole et tu peux te permettre une dizaine de soirées derrière… Il y a deux ans, on a accueilli un festival norvégien black métal de trois jours qui délocalisait et qui affichait complet avant même d’être annoncé en Belgique. On surfe encore un peu là-dessus. Le public de concert est de moins en moins curieux. Il claque plus facilement douze euros pour aller voir le blockbuster de l’été que cinq pour un live… Dans notre philosophie, nous ne voulons pas dépasser le prix d’une place de cinéma. »

Pas toujours évident forcément avec la hausse générale des cachets moins due à la crise du disque selon Denis qu’à l’avidité des tourneurs. « Nous, 85 à 90% de ce qu’on programme se fait sans intermédiaire. J’ai une bonne anecdote. Il y a quinze ans, on rencontre Zion Train avec qui on sympathise. On tombe d’accord sur une date et un prix. Quand ClearChannel intervient, on m’arrête tout de suite. Le tarif, c’est autant. La commission 15%… Le groupe était prêt à jouer pour 60.000 francs. La simple intervention de ce qui allait devenir Live Nation nous en aurait coûté 45.000. »

Choquant pour une asbl au sein de laquelle une hausse de dix cents sur le prix de la bière (1 euro 80) déclenche des discussions enflammées… « Parfois des bookers viennent te dire que ton prix d’entrée n’est pas assez élevé… C’est quand même dingue, non? »

Sans nostalgie, Denis plonge dans ses souvenirs. Se rappelle de Louis Fontaine qui avait débarqué avec une remorque remplie de tuyaux et de pistons ou encore du fumigène resté bloqué pendant un concert des Wampas. « On se prenait des coups sans les voir venir dans les pogos et on a commencé à distinguer Didier pendant les rappels. »

L’avenir? « On nous donnait trois ans. Nous sommes ici depuis cinq et on nous laisse encore deux à trois piges jusqu’à la destruction du bâtiment. La suite, on verra. Je ne suis pas sûr aujourd’hui que les vieux de la vieille soient encore prêts à se relancer dans les travaux, les permis d’environnement et d’urbanisme. Peut-être quelques-uns de nos jeunes bénévoles reprendront-ils le flambeau. » Histoire d’entretenir la flamme d’un underground et d’un Do It Yourself chevillés au corps…

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