Gomont perd la tête

L’auteur de Malaterre change de registre avec cette fantaisie qui laisse toute la place à ses jeux de langage et à son « besoin vital de raconter des histoires« .

L’anecdote, en soi, n’a rien de fantaisiste: le 18 avril 1955, à l’université américaine de Princeton, et quelques heures seulement après la mort d’Albert Einstein, le cerveau de ce dernier fut littéralement volé par le médecin-légiste qui procéda à son autopsie, Thomas Stoltz Harvey, dans l’intention de l’étudier et qui sait, d’y découvrir les secrets de l’intelligence -mais faisant fi en même temps de la demande explicite du célèbre scientifique de ne pas livrer son corps à la science. Une « fuite du cerveau » qui dura… près de 40 ans, le temps d’en découper des petits bouts, d’en donner d’autres aux collègues et, sans doute pour Harvey, de développer une étrange relation avec ce tas de neurones qui a sans doute abrité le plus brillant esprit du XXe siècle. Un faits divers bien réel donc, et déjà suffisamment cocasse pour en tirer une bande dessinée. Sauf que Pierre-Henry Gomont est le premier à savoir qu’on peut tout se permettre en BD, si on sait la manier. Il imagine donc un Einstein privé de cerveau mais revenu des morts, et bien décidé lui aussi à essayer de comprendre le fonctionnement de ses propres neurones! Une quête du savoir qui va prendre l’allure d’une course-poursuite complètement folle et burlesque -ce qui ne veut pas dire sans profondeur. Surtout lorsqu’Einstein, quand même atteint par cette amputation, perd peu à peu le langage et ne s’exprime plus qu’en pictogrammes…

Gomont perd la tête

Uniquement en BD

 » J’avais envie d’utiliser la bande dessinée dans ce qu’elle fait de très bien, peut-être de mieux: être drôle« , nous a expliqué l’auteur français, de passage à Bruxelles, dont la fantaisie échevelée surprend de fait ici, après un récit dramatique largement autobiographique ( Malaterre) et une adaptation littéraire très politique ( Pereira prétend). Des « one shots » très différents mais dans lesquels Gomont use à chaque fois et plus que d’autres d’outils propres à la bande dessinée, que ce soit les mises en abyme, les métaphores, ou les jeux de langage et de signes dont il se délecte ici.  » L’anecdote du vol du cerveau d’Einstein m’avait frappé, mais elle ne suffit pas à faire un livre. C’est en lisant ce qu’il disait de son processus de pensée que ce livre m’est devenu indispensable; il disait: « Je réfléchis sans mots, sans langage, ce sont des expériences de pensée qui me viennent en images ». Et c’est exactement ma démarche de dessinateur! Le bouquin n’est alors plus gratuit, mais essentiel: comme pour les autres, il me fallait le sentiment que ce livre-là, il n’y a que moi qui pouvait le faire. Et uniquement en bande dessinée. »

La Fuite du cerveau

de Pierre-Henry Gomont, éditions Dargaud, 192 pages.

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