APRÈS LE TRIOMPHE DE SON PREMIER ALBUM, FLORENCE + THE MACHINE REVIENT AVEC CEREMONIALS, PLUS EXTATIQUE ET GRANDILOQUENT QUE JAMAIS. ENTRETIEN EXCLUSIF.

Londres. Dans une rue déserte de Notting Hill, les maisons bourgeoises sont alignées élégamment. A mi-hauteur, un hôtel à la sobriété et la discrétion tout anglaises. C’est là que Florence Welch rencontre la presse internationale, au compte-gouttes. Le rendez-vous, prévu initialement en début d’après-midi, a déjà été reporté une première fois. Finalement, c’est avec près d’une heure de retard que la demoiselle déboule. « Elle vient directement du studio où elle terminait encore un dernier mix », glisse l’attachée de presse. La vie de star… « C’est la nature de la Bête, non? », glissera l’intéressée un peu plus tard, quand on aura enfin réussi à l’attraper.

Cela fait 2 ans que Florence Welch, à peine 25 printemps, est dans l’£il du cyclone. En fait, avant même que son premier album ne sorte, la donzelle était épiée, suivie de très près: 6 mois avant que Lungs n’atterrisse dans les bacs, Florence + The Machine était déjà signalée dans les espoirs de 2009 par la BBC (son fameux classement Sound of…). De bon augure sans être pour autant un gage de réussite, loin de là: combien de buzz ne se sont-ils pas dégonflés au moment même où la vague aurait dû les porter au sommet? (Au hasard: des nouvelles de Little Boots, arrivée en tête des mêmes prévisions de la Beeb, cette année-là?)

Au final, Lungs aura fait son bout de chemin, lentement mais sûrement. Disque d’or en Belgique, il aura réussi à avoir un impact aussi bien au Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis. En tout, plus de 2 millions de copies ont été écoulées. Pas mal pour un premier disque, qui aura même impressionné jusqu’à Beyonce: la diva r’n’b a déclaré y avoir puisé une partie de son inspiration pour son dernier album, 4. « Mon père m’a dit ça!, couine l’intéressée. C’est énorme! Bon, après j’ai écouté son disque et essayé de comprendre en quoi exactement j’aurais bien pu l’influencer (rires).  » Le lien musical n’est en effet pas forcément évident… Les intentions par contre ont pu faire contagion. Avec Lungs, Florence Welch réussissait en effet à séduire tout en amenant une approche très personnelle. Trouver le succès sans avoir à se trahir, que demander de plus? Car sans avoir l’opacité de certaines £uvres par trop cérébrales, Lungs n’en suggère pas moins une vraie proposition. Celle d’une pop-rock lyrique, à fleur de peau, chantée à pleins… poumons. En cela, les références à Kate Bush ne tiennent pas seulement à l’excentricité de Florence Welch. Elles sont aussi dans cette manière de proposer du neuf, de l’intime, du freudien dans un carcan pop.

Girl power

La preuve avec les cartons de singles comme Dog Days Are Over, Kiss With A Fist, ou encore sa reprise du You’ve Got The Love de Candi Staton. Au passage, le triomphe de Florence + The Machine marquait la présence de plus en plus importante des filles dans les hit-parades. Et cette fois-ci plus seulement sous l’angle de la séduction plus ou moins frontale. « Je ne sais pas, réagit la jeune femme. Le business musical est en effet un environnement qui a été dominé pendant très longtemps par des hommes. C’est peut-être juste un cycle… Le fait est que toutes ces filles sont des artistes à part, avec un discours très personnel, des chansons, des idées bien à elles. C’est compliqué de faire des généralités. Cela dit, ce qui ressort peut-être, c’est ce mix de puissance et de fragilité. »

Cette combinaison, c’est précisément la posture prise par Florence + The Machine, non? « Disons que, dès le départ, j’étais consciente d’être une jeune femme qui ne voulait pas chanter des choses typiquement mignonnes et gentilles. Je voulais exprimer de la rage, être effrayante, pouvoir chanter des histoires tourmentées… C’était important pour moi de pouvoir juxtaposer à la féminité quelque chose de plus cru, sombre et violent. «  Des premiers articles sur Welch ressortait d’ailleurs l’image d’une artiste volontiers barrée, partant régulièrement en vrille. Dans ses clips-mêmes, elle n’hésite jamais à jouer la grandiloquence, peignant ici un banquet orgiaque façon Renaissance ( Rabbit Heart), là un feu d’artifice gospel paganiste ( Dog Days Are Over) ou encore une ambiance fin de siècle avec soirée masquée et séance de spiritisme sur le dernier Shake It Out… En interview, Florence Welch affiche cependant une retenue et un flegme très britanniques. Détendue certes, mais toujours posée. Le succès qui aurait apaisé les tensions intérieures? Pas certain… « Cela reste toujours compliqué. Je ne pense pas que le succès résolve les conflits internes sur les questions des relations, de l’amour, de la vie, de l’avenir… D’un autre côté, en avoir ou pas n’est pas le genre de questions qui me réveillent au milieu de la nuit. « 

La noyée

A l’écoute, le nouveau Ceremonials ne dit en effet pas autre chose. Il y est toujours question d’obscurité, de démons inextricables, de diables et autres chevaux morts… « Pendant l’enregistrement, je relisais mes textes avec ma s£ur. Elle m’a aidé à les rassembler, les retaper dans un grand fichier… A la fin, elle m’a quand même dit que cela la plombait (sourires)… L’écriture est un processus complexe… Cela vous absorbe totalement, vous êtes complètement plongé dedans pendant un moment, cela vous permet de vous libérer d’un tas de choses. Mais quand vous remontez à la surface, cela recommence à nouveau (rires).  » On devine que la musique, et l’art en général, ont rapidement servi de béquilles à Welch. « Est-ce que j’ai du mal à communiquer parce que j’ai trouvé la scène pour m’exprimer? Ou ai-je besoin de la scène parce que j’ai des difficultés à avoir une conversation normale? »

Une question de gènes aussi. Avant de bosser dans la pub, le père de Florence Welch a traîné dans les squats de Londres au moment de l’explosion du punk. Sa mère, elle, est historienne de l’art à l’Université de Londres, spécialiste de la Renaissance italienne. Fin des années 70, elle a passé de nombreuses nuits au fameux Studio 54, avant de fuir l’agitation et le cirque du show-biz pour retourner en Angleterre. Exactement la démarche inverse de sa fille. « Oui, c’est étrange. A se demander si l’on n’est pas condamné à emprunter le chemin inverse de ses parents », sourit-elle.

A ce sujet, le premier titre issu de l’album est intitulé What The Water Gave Me: la métaphore de la noyade pour faire écho au tourbillon dans lequel est emportée Florence Welch depuis plus de 2 ans?  » Disons qu’il y a une série d’éléments qui vous mettent forcément sous pression… Mais pour moi, l’idée de noyade est plutôt liée à celle d’une échappatoire, d’une fuite. Comme une libération. Le genre de chose qui vous déborde, vous submerge et vous nettoie. C’est plus romantique. «  On fait tout de même remarquer que la mort attend au bout. Elle sourit: « Certes, mais la mort peut être un concept très roman- tique…  »

Le titre fait référence aussi bien à l’écrivaine Virginia Woolf (suicidée par noyade, les poches remplies de pierres) qu’à un célèbre tableau de Frida Kahlo. « Plus jeune, à l’école, on avait dû faire un travail sur les autoportraits. C’est comme cela que je suis tombée sur Kahlo. J’ai été éblouie par son esthétique, la passion qu’elle y met, toutes les couleurs, et en même temps le sous-texte, les accents très sombres. C’est aussi une personnalité fascinante: la manière dont elle a vécu, dont elle s’habillait, son attitude… « 

L’artiste mexicaine avait l’habitude de dire qu’elle ne peignait pas ses rêves, mais sa propre réalité. La démarche est-elle identique pour Welch? « J’imagine que vous emmagasinez les choses de l’extérieur, les passez à travers votre filtre intérieur, et cela finit par devenir votre propre réalité, que vous décrivez ensuite. A l’inverse, il m’arrive parfois d’utiliser de vrais rêves comme matière première. Mais ils deviennent réalité une fois qu’ils sont mis en chanson, non? Les frontières sont assez floues finalement. Où le rêve s’arrête? Où commence la réalité? » That’s the question…

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS, À LONDRES

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