LE CINÉASTE ITALIEN A RÊVÉ DÈS L’ENFANCE DU CINÉMA QU’IL DÉFEND AUJOURD’HUI, PAR-DELÀ LE TRIOMPHE ET LES MALENTENDUS DE CINEMA PARADISO.

The Best Offer, son nouveau film, est assurément l’un de ses meilleurs, avec sa chronique façon thriller en forme de piège fatal et son héros (joué par Geoffrey Rush) qu’un intérêt féminin tardif sort de sa prison dorée de commissaire-priseur protégé de la vie réelle par son amour de l’art. A 57 ans, Giuseppe Tornatore est l’un des réalisateurs italiens les plus connus internationalement, mais il n’a pas toujours fait l’unanimité dans son propre pays. Celui que le nostalgique et très populaire Cinema Paradiso (1989) a révélé d’emblée n’a jamais vraiment confirmé, aux yeux de certains. Mais il poursuit sa trajectoire avec cet amour vibrant du 7e art qu’il nourrit depuis l’enfance…

Son premier souvenir marquant lié au cinéma remonte loin, en effet: « La toute première fois que je suis entré dans une salle, j’avais cinq ans. Mon père m’a emmené au cinéma. Je me rappelle exactement mon entrée, les sentiments que j’ai éprouvés en levant les yeux vers l’écran, où se déroulait une scène filmée en noir et blanc. On voyait deux hommes qui se battaient en duel en brandissant des harpons de fer. La taille de ces figures humaines m’a frappé de stupeur. Je ne pouvais comprendre comment on avait réussi à les faire entrer dans une salle certes vaste, mais dont les portes étaient petites… Bien des années plus tard, j’ai réalisé que le film en question était Uno sguardo del ponte, de Sidney Lumet, A View From The Bridge, avec Raf Vallone et Jean Sorel.  »

S’il a rêvé depuis l’enfance de faire du cinéma, « c’était seulement un jeu. Le besoin réel de m’exprimer par l’image, de devenir réalisateur, m’est venu à l’adolescence, vers quinze-seize ans. Mais ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard encore que la possibilité concrète s’est présentée à moi. Nous avons monté, d’autres jeunes Siciliens(1) et moi, une coopérative qui a participé à la production d’un film local. Une expérience qui m’a valu ensuite de pouvoir aller à Rome, travailler dans le documentaire. Deux ans plus tard, je réalisais mon premier film (Il Cammorista, ndlr). »

Le passage par le documentaire fut pour Tornatore « à la fois utile et obligé. Comme l’avait été avant lui mon passage par la photographie. Là où je vivais, en Sicile, il n’existait aucune possibilité d’imaginer faire un film de fiction. La photographie était l’option la plus à portée de main, la plus économique. Le documentaire, même tourné en Super 8, était déjà bien plus coûteux. Mais j’ai pu me le permettre grâce à l’argent que je gagnais en photographiant les mariages! Je m’auto-finançais, je n’avais pas le choix…  »

Incubation

Le cinéaste a connu le succès très jeune, avec Cinema Paradiso. Un triomphe qui a pu prendre des allures de cadeau empoisonné, vu les jalousies que la chose suscita… « Ce succès, je l’ai vécu comme un privilège, clame Tornatore, il m’a donné la force de faire les films que je désirais faire. Je ne l’ai jamais ressenti comme une sorte de piège, une prison dorée… Je n’ai jamais ressenti l’angoisse du film suivant, ni le besoin de m’excuser pour la reconnaissance publique dont j’étais l’objet… Les jalousies, les méchancetés, il y en a eu et il y en a encore un peu. Un peu seulement, j’espère (rires)! J’ai appris à vivre avec elles, après en avoir souffert au début. J’étais jeune, très sensible. J’ai de l’expérience, aujourd’hui. »

Le processus créatif prend chez le réalisateur de The Best Offer une forme un peu particulière. « Mes films sont le résultat d’une longue incubation, explique-t-il. L’idée se développe en moi, dans ma tête, durant des mois où je n’écris rien. Pas même des notes. L’idée me revient à l’esprit, encore et encore, plus développée à chaque fois. J’écris une ligne ou deux, pour m’en souvenir. Et la maturation intérieure reprend, et dure encore. Jusqu’à ce que le film ait pris forme dans ma tête, de manière organique. Ecrire est alors assez facile, les mots du scénario coulent de source… Plus longtemps j’ai retenu le sujet en moi, plus aisée est sa concrétisation sur la page. » La suite est « charnelle au tournage, avec les acteurs qui incarnent, au sens le plus fort du terme. Mais c’est le montage qui est le plus organique, après l’écriture. Dans la salle de montage, j’ai à chaque fois l’impression de réassembler quelque chose qui existe déjà, et qui veut émerger par lui-même. »

A la question de la filiation par rapport à l’héritage du grand cinéma italien, Giuseppe Tornatore se fait modeste: « Je n’ai jamais pensé en ces termes. Je voulais juste raconter des histoires par le biais du cinéma. Je ne me sens pas à la hauteur des plus grands, je suis un autodidacte qui ne revendique rien d’autre que de pouvoir m’exprimer, du mieux que je le peux. » Et de donner la liste des chefs-d’oeuvre qu’il admire le plus dans cette riche tradition: « Assurément Le Voleur de Bicyclette de De Sica, Rome ville ouverte de Rossellini, 8 oe de Fellini, Bellissima de Visconti, Salvatore Giuliano de Rosi, Le Conformiste de Bertolucci, L’Avventura d’Antonioni, Il était une fois en Amérique de Leone et Il Ladro Di Bambini de Gianni Amelio. » Plus qu’une liste, un hymne à ce que le 7e art offre de plus fort: l’émotion.

(1) TORNATORE EST NÉ EN 1956 À BAGHERIA, DANS LA PROVINCE DE PALERME.

THE BEST OFFER, UN THRILLER DE GIUSEPPE TORNATORE. AVEC GEOFFREY RUSH, JIM STURGESS, SYLVIA HOEKS. 2 H 10. SORTIE: 06/11.

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RENCONTRE Louis Danvers

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