Gare au gorille

Les attaques du primate en cavale d’Ape Out modèlent sa B.O. free jazz pour marier musique et gaming. Une opération coup de poing.

Le jazz occupe une place marginale dans l’Histoire du jeu vidéo. Grim Fandango rendait un hommage tout en swing au culte des morts mexicains, à la fin des années 90. Plus récemment, Miles Davis et Chet Baker influençaient la bande originale de L.A. Noire (Rockstar) tandis que Cuphead sautait sur des plateformes en ragtime. Ape Out de Gabe Cuzzillo rend aujourd’hui hommage au bien nommé You’ve Got to Have Freedom du génial Pharoah Sanders. Sous la fourrure d’un gorille furieux, le titre indé change toutefois la donne puisque les coups assassins du gamer y modèlent la rythmique du jeu.

Illustrateur cinéma culte des années 60 (l’affiche du Vertigo d’Hitchcock notamment), Saul Bass habite Ape Out. Son style épuré et stylisé épouse à merveille le free jazz du jeu. Il masque, aussi son ultraviolence. La vue aérienne 3D en place suit en effet un primate s’échappant d’un mystérieux labo truffé de gardes. On y slalome entre des piliers, au fil de courses-poursuites folles. Frapper les adversaires avec ses bras pour les envoyer -littéralement- exploser dans le décor ajoute un bref roulement de cymbales à la musique. En tuer plusieurs d’affilée emballe la ligne rythmique. La manette devient un instrument. Jouer prend deux sens. À l’image de Rez, Child of Eden et 140, Ape Out lie sa bande originale et son gameplay. Dépendant des faits et gestes du joueur, sa rythmique jazz syncopée se densifie et s’accélère quand les adversaires pullulent à l’écran. À l’inverse, la batterie s’efface lorsqu’on se retrouve isolé. Professeur au New York University Game Center, Matt Boch a aidé Gabe Cuzzillo à créer un batteur virtuel dans le jeu. Ce dernier réagit aux actions du gamer, via un algorithme de création musicale procédurale puisant dans mille samples de batterie.

La grande évasion

Hypnotique et fascinant, Ape Out nomme ses niveaux comme des morceaux et aligne des pochettes d’albums jazz fictives, un peu à la manière de Sword & Sorcery EP de Capybara Games. Sa relation viscérale à la musique ne l’empêche pas de dérouler de vrais ressorts ludiques. Les explosifs et les armes à feu variées des adversaires obligent à penser des approches offensives différentes. Dommage que l’IA peine. Attendre tranquillement, planqué derrière un mur, l’arrivée de grappes de gardes ne pose ainsi aucun problème.

Wolfenstein II: The New Colossus abritait une scène culte où son héros se querellait avec un communiste sur fond de balles qui sifflaient et de free jazz. Ape Out tire en longueur cette séquence proche du Birdman d’Alejandro González Iñárritu (et de la terrible batterie d’Antonio Sánchez). Vers le chemin de la sortie, on fonce parfois tête baissée. Ce carnage tache le sol de sang bleu, orange et rouge qui se superposent. L’impression de regarder une toile de Jackson Pollock domine parfois, le joystick remplaçant alors les mouvements aériens de l’action painting de l’artiste new-yorkais, dingue de jazz. Jouer de la musique et peindre pour s’échapper. Survivre est un art dans Ape Out.

Ape Out

Édité par Devolver Digital et développé par Gabe Cuzzillo, Bennett Foddy et Matt Boch, âge: 16+, disponible sur Nintendo Switch (version chroniquée) et PC.

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